Une énorme liane qui rampait s’était brusquement élancée de terre et ruée sur un arbre qui, à demi déraciné, rejetait en arrière sa tête verdoyante. Elle se dressait à une hauteur d’homme et fondait sur sa proie. Sa furieuse étreinte l’avait écrasée et comme incrustée dans le tronc pitoyable autour duquel elle enroulait ensuite une spirale amoureuse et rassasiée.
Son lac donne à Kandy une grâce féminine. Il est bordé, du côté de la ville, d’un parapet dentelé et ajouré de petites niches triangulaires qui fait penser à des bijoux anciens. On retrouve ce motif d’architecture autour de la pagode et des temples bouddhistes. Vers le coucher du soleil, des femmes appesanties de chaînes et de pendeloques, et des hommes en haillons magnifiques viennent s’asseoir entre les créneaux pointus. C’est l’heure où le Bouddha reçoit ses offrandes de fleurs, où l’huile de coco s’allume dans les lampes de la pagode, où les gongs résonnent. Séparé du lac par une large route et des jardins de palmiers, entouré de petits remparts sculptés et de canaux sombres, flanqué d’un pavillon octogone, dont ses murs blancs en forme de soufflet, son toit bizarre, ses piliers trapus, sa galerie engoncée, font comme un magot pansu coiffé jusqu’aux oreilles d’un chapeau chinois, le temple de Kandy, ce temple fameux qui recèle une dent d’animal attribuée au Maître, soulève dans les fusées de palmes ses joyaux de pierre archaïques, cabossés, baroques et charmans.
Nous y avons pénétré à la tombée du soir, en compagnie d’un illustre Cynghalais, caissier d’une banque anglaise. Les Anglais réservent ces places de confiance à des personnages dont le nom et la caste imposent aux indigènes. Roi mage à barbe grise, Raswalte, en même temps qu’il veille sur la caisse de ses patrons, administre le temporel de l’église bouddhiste. Il est le chef laïque de la pagode, « le président de la fabrique, » et, de plus, il possède des éléphans. Nous avons, au milieu de mendians qui agitaient leur sébile, gravi des escaliers et parcouru d’abord une galerie extérieure où nous vîmes danser, à la lueur des torchères, des fresques de démons suppliciant les damnés. J’admirai leurs ventres verts tachetés de noir, leurs fourches, leurs gueules, et leurs crocs qui tenaient de la corne des buffles et de la défense des éléphans. Les damnés, bras rigides et cuisses en équerre, grillés par le feu, dévorés par les bêtes, enveloppés d’un tourbillonnement d’oiseaux rapaces et de serpens multicolores, ne me parurent pas moins dignes de pitié que les maudits de notre