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les façons efféminées m’inspirent un sentiment voisin de la répugnance. Les Tamouls, ces anciens envahisseurs, ont-ils sauvé du naufrage de leur indépendance un peu de la vigueur qu’atteste leur passé ? Leur mépris pour les Cynghalais les a-t-il maintenus dans une heureuse fierté ? Ont-ils le sang plus généreux, ou faut-il attribuer à leur éloignement du Bouddhisme leur intelligence plus active, leur pensée plus personnelle ? En est-il de leur caractère comme de leur idiome pur encore de toute influence étrangère, alors que le hollandais et le portugais ont manifestement déteint sur la langue cynghalaise ? Durant la traversée, je m’étais assez lié avec Senathi pour apprécier sa rare valeur ; mais, aujourd’hui que je le considère dans le naturel décor où sa race a grandi, il représente à mes yeux toute une caste d’hommes et non la moins intéressante du monde asiatique.

L’instruction de ces hommes commence de bonne heure : de quatre ans à dix, on leur enseigne le tamoul et le cynghalais dont la connaissance leur est également indispensable ; à dix ans, leurs maîtres les initient aux langues étrangères et aux langues mortes. En même temps qu’ils apprennent l’anglais, ils traduisent du latin et du grec, déchiffrent le sanscrit et le pâli. Nos programmes classiques, dont la charge nous paraît excessive, ne pèsent guère, si on les met en balance avec ceux des hautes classes de Ceylan. Quand le jeune homme atteint sa vingtième année, il part pour l’Angleterre, la France, l’Allemagne, et y achève son éducation. C’est vers le droit qu’il se porte d’ordinaire comme vers les seules armes offensives et défensives qui lui restent permises. L’histoire de son pays lui en favorise et lui en illustre l’étude. Les Anglais se sont bien gardés de saccager inutilement les us et coutumes des peuples conquis. S’ils exportent aux colonies leur droit criminel, ils n’y transplantent point leur droit civil et ne tranchent pas avec un dogmatisme utopiste et sous couleur d’émancipation sociale les racines que les communautés humaines plongent dans l’humus du passé. Leur autorité s’accommode des anciennes traditions, et toutes les sortes de jurisprudence vivent sur la terre cynghalaise. La propriété, collective à Kandy, est individuelle à Colombo. Le jeune homme dont l’Europe aura complété l’équipement y pourra donc trouver de belles occasions pour s’escrimer de sa science.

Mieux instruit que la plupart d’entre nous, descendant d’aïeux batailleurs et métaphysiciens, élevé dans le respect tout extérieur