Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cèdre et la grâce du lis. Il ne déroulera pas de plus riches tapis que cette terre rouge où l’ombre met des tons pâles. Et si le Dieu aime le silence des pas humains, s’il lui plaît de reposer près des hommes, mais de ne point entendre la vanité bourdonnante de leur vie, on ne bordera jamais sa voie triomphale de mausolées plus discrets que ces villas endormies sous la caresse des lianes, de boutiques plus taciturnes que ces huttes de potiers ou de vanniers, de campemens plus paisibles que ces bâches tressées avec des palmes sèches où des familles somnolent près d’un jaunâtre étang. A peine une charrette vide, et rouge d’avoir transporté de la terre, fait-elle, au pas lent des buffles, gémir quelques graviers. Des femmes en jupes de safran, parées de bijoux d’or ; des mères et leur petit à cheval sur leur hanche ; des jeunes hommes dont l’épaule soutient une tige de bambou flexible où se balancent deux paniers à volailles ; de vieux philosophes barbus foulent la route somptueuse, et leurs pieds nus n’y laissent point de vestige. Le Dieu rêve sans doute, et ces simulacres humains ne sont que les reflets de ses rêves ironiques ou bienveillans ; et les enfans nus ainsi qu’au jour de leur naissance, petits Bacchus de bronze encadrés par des plantes tropicales, sont des songes aussi, mais des songes de beauté. Il me souvint alors de la légende bouddhique où l’esclave Puma, qui n’avait jamais entendu prononcer le nom de Bouddha, aussitôt que ce nom frappa ses oreilles, sentit son poil se hérisser sur son corps et demanda plein de respect : « Seigneur, quel est celui que vous nommez Bouddha ? »

Voici son temple. A droite, au fond d’une allée, il surgit sale et délabré : escaliers noircis, portails solitaires comme des ruines, campanile caduc, et plus loin des murs décrépits sous un auvent couvert de tuiles. Notre guide nous conduit devant un registre gardé par un moine. Maigre, le visage émacié, les regards tournés en dedans, le bonze laisse dédaigneusement tomber de ses lèvres immobiles une demande d’offrande. Je lui tends une roupie : il ne bronche pas. « C’est quatre roupies, murmure le Cynghalais. — J’en donnerai deux, » lui dis-je en tirant de ma poche un billet de dix roupies. Le bonze, à qui notre guide traduisit ma réponse, avança la main, prit le billet, et, posément, en homme pour qui le temps compte beaucoup moins que l’argent, il aligna sur le registre six pièces blanches. Je me retournai vers le Cynghalais. Les deux hommes échangèrent quelques paroles et