poste de police. » Plus loin, un sergent de ville s’approcha de notre cocher et lui conseilla de prendre une allée ombreuse, afin d’éviter aux ladies qu’il avait l’honneur de promener les rayons obliques du soleil couchant. Et nous fûmes bientôt près d’un lac où de la cime des arbres inclinés se miraient de grandes fleurs sanglantes. L’eau noire sous l’épaisseur des rameaux et des lianes reflétait vers le centre la dernière flambée du jour. Il y eut un instant où, déjà la nuit planant au fiel, nous vîmes à travers le feuillage les routes se teindre en cramoisi, comme si le soleil, au lieu de plonger dans l’abîme, s’était enfoncé dans la terre et l’avait imprégnée de sa splendeur. La vision s’éteignit, et nous n’entendions, en cette nuit soudaine, que le rire de Maggie qui excitait les chevaux.
Nous avons dîné au Galle face, à deux pas de la mer, les fenêtres ouvertes, au milieu d’une salle magnifiquement illuminée. Les pieds nus des serviteurs cynghalais glissaient autour de nous ; leurs manches nous frôlaient, et le rythme des pankas nous caressait d’une illusion de brise marine. Puis nous repartons. Colombo dort. Dans l’immensité touffue où çà et là tremble une étoile humaine, seule la terre travaille sans bruit et sans relâche, et ses jets de sève nourrissent et multiplient d’innombrables essences. L’ombre est chaude et lourde. Il ne s’exhale aucun parfum de ces jardins dont l’humidité grasse absorbe l’âme des fleurs. Mais, comme nous longions les champs vagues que l’on nomme le Cinnamon Garden, nous respirons l’arôme de ces épi ces qui embaumèrent les coques de bois des antiques caravelles. Leur senteur monte à peine jusqu’à nous. Au sein des flammes immobiles et noires où les nuits tropicales semblent tisser leur voile, cette piquante haleine, si étrangement parfumée, et dont le charme vient de si loin à travers les âges, cette haleine qui alluma tant de fièvres et fit appareiller tant de navires nous effleure un instant de sa brûlure presque fraîche. Notre cocher, en quête de la représentation annoncée partout des Fantoches « françaises », s’égare, arrête son attelage, s’oriente et lance ses chevaux dans le dédale fantastique des tunnels de verdure. Nous rencontrons parfois un traîneur de tilbury ou un bicycliste attardé. Enfin nous côtoyons un petit lac, et, vers dix heures du soir, nous débouchons devant une salle de théâtre grande ouverte, étincelante et vide. La noirceur de la nuit, la grâce sinistre du lac, le silence des hautes végétations donnaient à ce théâtre je ne sais quelle apparence de fantaisie paradoxale et merveilleuse. Le rideau baissé éclatait de