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prépondérante dans la Méditerranée. D’ailleurs, en présence de l’intimité de nos relations avec la Russie, elle resserrait de plus en plus ses liens avec l’Autriche et la Prusse.

Le 4 février, la reine Victoria, vivement alarmée, adressa une lettre émue à l’Empereur. Elle faisait appel à son cœur pour le supplier d’éviter à l’Europe une guerre calamiteuse qui mettrait le gouvernement britannique dans la douloureuse nécessité de se séparer de la France. — « Votre Majesté a vu, disait-elle, par le langage du parlement, quels sont les sentimens qui animent l’Angleterre. Son anxiété est égale à la mienne. Il a été rarement donné à un homme autant qu’à Votre Majesté d’exercer sur la tranquillité et le bonheur de l’Europe une influence aussi personnelle, aussi puissante. Elle a l’occasion de montrer au monde son respect des traités, de calmer ses appréhensions, de rétablir la confiance, ou bien de le jeter dans la confusion en provoquant une guerre dont l’étendue et la durée seraient impossibles à préciser. Si quelque chose pouvait augmenter le chagrin que je ressentirais en voyant éclater un conflit, ce serait de voir Votre Majesté entrer dans une voie où il serait impossible à l’Angleterre de la suivre. » Cet appel fait à sa sagesse, au nom d’une amitié qui lui était chère, car il en connaissait la sincérité, troubla vivement l’Empereur. Il essaya de rassurer la Reine et de se justifier sans y réussir. Il évita, dans ses explications, de préciser les engagemens qu’il avait pris avec le Piémont ; avec une conscience agitée, il s’indigna contre les soupçons dont il était l’objet, récrimina contre l’attitude de l’Allemagne et se retrancha, sans rien promettre, derrière les devoirs que lui imposaient l’honneur et les intérêts de la France. Sa lettre, bien que longue, mérite d’être reproduite en entier.

« C’est toujours avec reconnaissance que je reçois les conseils de Votre Majesté ; mais vous me permettrez de vous expliquer ce qui s’est passé depuis six ou huit mois : l’histoire en est curieuse. — Dans le cours de l’été dernier, j’ai reçu de l’Italie et surtout de la Sardaigne des communications confidentielles m’apprenant les troubles en Italie et m’annonçant l’imminence d’une insurrection. Le gouvernement sarde m’informait qu’il serait difficile de maintenir longtemps cet état de choses, que la situation était tellement tendue que le Piémont ne reculerait pas même, s’il en avait le moyen, devant une guerre avec l’Autriche. J’ai répondu que l’Italie avait toujours mes sympathies,