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ment l’origine de ses pièces, convaincu que ce sera une recommandation pour elles.

Il y avait pourtant, à imiter trop exactement un théâtre étranger, un péril qu’il n’était pas toujours possible d’éviter. Le sujet d’une pièce faite pour un certain pays peut ne pas convenir à un autre. Il arrive, par exemple, que, dans beaucoup de comédies grecques, on suppose qu’une jeune fille a été violée la nuit par un inconnu, dans la confusion d’une fête religieuse ; un grand nombre d’autres se dénouent par des reconnaissances tout à fait imprévues : un père retrouvant, dans un jeune esclave ou une courtisane du voisinage, des enfans qui lui ont été volés autrefois par des pirates ; comment faire accepter des fables de ce genre à Rome, où la police des temples était bien faite, et dans un pays comme l’Italie, moins exposé aux rapines des pirates que les côtes accidentées de la Grèce ou des îles de l’Archipel ? On ne peut comprendre la complaisance que mettait le public romain à les supporter, qu’en songeant qu’il s’agissait de l’intrigue, et que l’intrigue lui était, comme on vient de le voir, parfaitement indifférente. Du reste, le public français du xviie siècle ne s’est pas montré plus sévère pour certains dénoûmens de Molière, qui reproduisent fidèlement ceux des pièces latines, et qui pour cela n’en sont pas plus raisonnables.

L’inconvénient est plus grand pour les caractères. Nous ne reconnaissons les personnages au théâtre que si nous les avons connus dans la vie réelle, et, quand ils ne sont pas de notre pays et de notre temps, quand ils diffèrent avec nous d’humeur et d’idées, on ne s’applique pas les leçons qu’ils nous donnent, et l’on risque de ne pas s’intéresser à leurs aventures. Mais il faut remarquer ici que la comédie de Ménandre, qui a servi de modèle aux Romains, a ses racines dans la philosophie socratique, et que l’école de Socrate, ayant pour maxime la connaissance de soi-même, plonge jusqu’au fond de l’âme et va chercher les passions à leur source, c’est-à-dire avant que le commerce de la vie, les intérêts, les relations, les aient revêtues d’apparences diverses, en un mot qu’elle étudie l’homme en soi, et cherche surtout à découvrir ses qualités essentielles et universelles. Les poètes élevés dans ces principes, quand ils travaillent pour le théâtre, ont dû donner à leurs personnages de ces traits simples et généraux qui conviennent à tous les pays et leur permettent de n’être tout à fait étrangers nulle part. À Rome, comme ailleurs, ce fond d’humanité les faisait