comme la plupart de ses confrères, le protégé d’un grand personnage ; personne ne nous dit qu’il ait vécu dans la clientèle d’un
Scipion ou d’un Fulvius Nobilior, et peut-être ne se serait-il pas
senti à l’aise en leur compagnie. Malgré sa réserve ordinaire, il
s’est un peu moqué de leur air de grandeur et de gravité ; il aime
à nous montrer les esclaves, quand ils ont fait un bon tour à leur
maître, triomphans comme des généraux victorieux ; il leur met
alors dans la bouche des phrases interminables, avec des entassemens de mots pompeux qui parodient les formules solennelles
des harangues patriciennes. Évidemment il a dû fréquenter un
monde assez bas. Il nous a laissé une topographie de Rome où les
divers quartiers sont distingués d’après les malhonnêtes gens qui
les habitent[1], et l’on voit bien que cette populace lui est parfaitement connue. Il en parle la langue avec une aisance merveilleuse ; lorsqu’il s’agit de mettre aux prises entre eux des esclaves,
des parasites, de petits marchands, il possède une variété et une
richesse d’injures inépuisable, qu’il avait sans doute acquise dans
leur compagnie. Tous ces gens-là, qui formaient la majorité des
spectateurs, devaient être enchantés de se reconnaître, de retrouver
sur le théâtre les personnages qu’ils fréquentaient d’ordinaire, les
scènes auxquelles ils assistaient tous les jours. Il me semble que
cette communication entre l’auteur et son public anime encore
aujourd’hui ses pièces, et que c’est ce qui les rend vivantes pour
nous. Quand je le lis, à de certains passages étincelans de franche
gaieté, d’irrésistible bouffonnerie, je crois entendre, du haut en
bas des gradins, éclater le rire de la foule.
Nous nous sommes un peu attardés à regarder la cavea, à essayer de remettre sur ces bancs de pierre, aujourd’hui déserts, les gens qui venaient s’y asseoir. Pour comprendre quelque chose aux pièces de Plaute, il fallait d’abord faire connaissance avec son public. Maintenant que nous en avons une idée, nous pouvons nous retourner vers la scène.
Le spectacle va commencer ; la toile descend et se perd sous le théâtre. Nous avons sous les yeux un petit mur d’un mètre et demi de haut qui supporte la scène. C’est là que les acteurs vont se
- ↑ À l’acte IV du Curculio.