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pénétrer jusqu’au fond du portique supérieur où s’entassaient les petites gens. N’oublions pas que, dans nos théâtres si bien clos et beaucoup moins vastes, bien des choses nous échappent de ce qui se dit sur la scène ; ne semble-t-il pas naturel de croire qu’on devait en perdre davantage dans ceux des anciens ?

On répondra sans doute que, sur ce point, l’expérience est faite et la question résolue ; on rappellera que précisément, dans ce même théâtre d’Orange, où nous sommes, on a représenté plusieurs fois des pièces modernes ou antiques, et que la foule entassée sur ces gradins n’en a pas perdu un mot. Tous les journaux en ont fait des comptes rendus enthousiastes, et l’on n’a pas hésité à conclure qu’il était hors de contestation que, dans les théâtres antiques, malgré tant de conditions défavorables, les acteurs se faisaient facilement entendre de tout le monde. C’est aller bien loin, et je ne vois pas que les anciens en aient été aussi sûrs que nous ; il faut bien qu’ils se soient méfiés de l’acoustique de leurs théâtres, puisqu’ils ont essayé de l’améliorer. On ne peut guère expliquer autrement ces porte-voix dont ils avaient soin de garnir la bouche des masques comiques ou tragiques, et ces échos dont parle Vitruve, sortes de niches placées un peu partout pour recevoir les sons qui venaient de la scène et les renvoyer en les renforçant. Ce qui le montre encore mieux, ce sont les inquiétudes qu’expriment les acteurs, qui ont toujours peur de n’être pas entendus. Plaute s’adresse au public, dans ses prologues, pour lui dire : « Vous avez saisi ? Vous comprenez ? C’est à merveille. » Et si quelque spectateur des derniers rangs, qui n’est pas parvenu à se caser, lui fait signe que non : « Eh bien, lui crie-t-il, va-t’en ; si tu n’as pas de place ici pour t’asseoir, tu en trouveras ailleurs pour te promener. Est-il juste que tu réduises les pauvres comédiens à la mendicité ? Sois sûr que je ne m’exposerai pas à me crever pour te faire plaisir. »

On voit par là que le témoignage des anciens ne paraît pas tout à fait d’accord avec les expériences que nous avons faites de nos jours ; je crois pourtant qu’on peut les concilier et que la contradiction n’est qu’apparente. Il faut bien que les anciens

    Régionnaires romains. Selon lui, le théâtre de Pompée ne pouvait contenir que 9 000 ou 10 000 spectateurs, au lieu de 18 000 que donnent les Régionnaires ; le Colisée, 45 000, au lieu de 87 000 (Bollettino della commissione dell’ Archivio comunale di Roma, 1894). D’après Caristie, le théâtre d’Orange contenait de 6000 à 7 000 places. C’est encore beaucoup, quand on songe que l’Opéra, à Paris, n’en a que 2 150 et le Théâtre-Français 1 400.