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ne l’est pas ? mais les plus ardens, les plus agissans, les plus influens d’entre eux sont ce qu’on appelle des révisionnistes. S’ils se contentaient de reconnaître, comme tant de bons esprits l’ont fait après la découverte du faux Henry, que la révision était devenue inévitable et nécessaire, il n’y aurait rien à dire. Malheureusement ils ne s’en tiennent pas là. Ils proclament par avance, avec l’intolérance d’un dogme, une innocence restée hypothétique ; ils imposent d’autorité leur conviction à tous ; ils s’efforcent de la faire prévaloir par des moyens quelconques. S’ils défendent une Chambre de la Cour de cassation, c’est pour attaquer les deux autres. S’ils proclament leur confiance dans la magistrature, c’est pour la refuser à l’armée sur laquelle ils font pleuvoir chaque jour des attaques nouvelles. Au reste, la psychologie de ce parti n’est plus à faire. Mais nous demanderons une fois de plus de quel droit les radicaux dont nous venons de parler se sont emparés de M. Loubet, en disant : C’est notre homme ! il est à nous ! son succès sera celui de nos idées ! Est-ce que M. Loubet a jamais rien fait, est-ce qu’il a jamais rien dit qui autorisât de pareilles suggestions ? Non, certes ; et c’est une chose vraiment surprenante de penser qu’on l’a choisi de préférence à tout autre, parce que, depuis plusieurs années, comme président du Sénat, il était resté en dehors des discussions ou au-dessus d’elles, et qu’en même temps, on lui a prêté des intentions, des principes, des tendances contre lesquels sa vie antérieure est une protestation. De toutes les comédies auxquelles nous avons assisté, celle-ci est la plus audacieuse ; car c’est une comédie, dans laquelle on a assigné un rôle à M. Loubet, bien entendu sans le consulter. Il est vrai qu’on ne lui demande pas de le jouer, on s’en charge pour lui.

Le résultat ne s’est pas fait longtemps attendre. Lorsque M. Loubet, revenant du Congrès de Versailles, est rentré à Paris, il a trouvé la ville comme démontée. Il ne servirait à rien de dissimuler qu’il a été mal reçu. C’est l’affaire d’un jour, nous en sommes convaincus, car rien n’est à la fois plus artificiel, ni plus injuste. Le caractère qu’on a prêté à M. Loubet n’est pas le sien. On lui a mis sur le front une cocarde qui ne lui appartient pas. Mais ceux qui ont opéré ce travestissement ont pu juger par le résultat de la popularité qu’ils ont su eux-mêmes acquérir. Ils ont voulu se donner l’illusion de porter triomphalement un homme sur le pavois : ce serait un pavois peu solide que celui qui reposerait sur leurs épaules. La réaction qu’ils ont provoquée a pris tout de suite une allure violente qu’on ne saurait, d’ailleurs, blâmer et condamner trop énergiquement. Il faut avoir vécu,