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dire. S’il est vrai qu’il n’y ait pas d’effet sans cause, la cause de ces dissidences est du moins étrangère à M. Loubet. Aussi espérons-nous que l’écume légère qui s’est formée à la surface des événemens et qui a tourbillonné avec eux ne tardera pas à se dissiper. On a craint d’abord que les obsèques de M. Félix Faure ne donnassent lieu à des manifestations pénibles. Il n’en a rien été. La population parisienne a pris l’habitude, qu’elle n’a pas eue toujours, de respecter les cercueils. On a cru ensuite, à voir l’ordre parfait qui a entouré le cortège funèbre depuis l’Élysée jusqu’au Père-Lachaise, que la journée tout entière se passerait sans incident grave ; mais c’était compter sans la Ligue des patriotes, et sans M. Déroulède, son chef exubérant. A la tombée du jour, il a fallu procéder à quelques arrestations : M. Déroulède et M. Marcel Habert sont aujourd’hui au Dépôt.

Les auteurs de l’agitation ont compris que l’opinion publique se tournerait énergiquement contre eux s’ils troublaient les obsèques de M. Félix Faure : aussi est-ce après coup seulement qu’ils se sont livrés à leurs fantaisies brouillonnes. M. Félix Faure était aimé. Il était aimé parce qu’il était aimable et bon. La démocratie d’où il était sorti se reconnaissait en lui. Elle mettait de la complaisance à mesurer la distance parcourue si vite entre les origines modestes et le point d’arrivée de cet enfant chéri de la fortune. Elle lui savait gré d’être grand, bien fait, affable, et de « représenter » aussi bien que pouvait le faire aucun chef d’État. Sa bonne grâce parfaite, et l’aisance avec laquelle il acceptait tout ce qui lui arrivait comme si rien n’était plus naturel, parlaient à l’imagination du peuple, et allaient droit à son cœur. Il y avait du roman dans cette existence dont la foule ne voyait que le côté brillant, et dont quelques-uns seulement connaissaient le côté laborieux, sérieux, appliqué ; et le roman est toujours bienvenu parmi nous. On avait vu M. Félix Faure parcourir Paris avec un empereur et une impératrice dans une illumination triomphale dont les esprits populaires avaient été vivement frappés. La revue de Châlons avait été une féerie héroïque, où les cris de : Vive l’armée ! étaient sortis spontanément de milliers de poitrines sans autre préoccupation, alors ! que celle de l’armée elle-même et de la patrie. Puis, M. Félix Faure était allé à Saint-Pétersbourg. On se demandait ce qu’il allait y faire et s’il s’agissait seulement de renouveler, avec le prestige que le lointain donne aux choses, les fêtes de Paris, de Versailles, de Châlons. Tout d’un coup le mot d’alliance tombait de ses lèvres, puis de celles de l’empereur de Russie, et tous les échos de l’univers en retentissaient. On a cru volontiers que M. Félix Faure venait de faire l’alliance, alors qu’il se con-