Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est-à-dire aux artères. Si l’on néglige les altérations subies en cours de route, ce liquide nourricier est donc une sorte de bazar ambulant où les produits de l’industrie de tous les ouvriers cellulaires, c’est-à-dire leurs sécrétions internes, sont offerts à tous. Chacun s’y pourvoit suivant son besoin ou son goût particulier.

Et par-là se trouve établie la solidarité, ou, comme l’on dit aujourd’hui, la symbiose de toutes les parties de l’organisme. Grâce à ce mécanisme humoral, le corps composé d’une multitude d’individus cellulaires, forme un système lié, cohérent, une individualité plus vaste, l’animal. La notion de cette solidarité humorale s’est montrée, infiniment suggestive. M. Armand Gautier y voit une « conception puissante, » capable de projeter une vive lumière sur les phénomènes vitaux.

Il y a un autre mécanisme d’association entre les individus cellulaires qui forment les corps vivans. C’est le système nerveux. Il permet, lui aussi, et d’une façon sans doute plus parfaite, la synergie des parties de l’organisme : il ajuste leurs activités, il les concerte. Il fait retentir la modification subie par chacun sur les autres, et d’une multitude il fait une unité. Le degré d’individualité d’un animal est proportionné au degré de solidarité de ses élémens : et celui-ci est, en quelque sorte, mesuré lui-même par le degré de développement et de perfectionnement du système nerveux.

Les idées de Claude Bernard sur les sécrétions internes ne sont pas restées ignorées, enfouies dans quelque recoin de ses œuvres. Elles ont été mises en parfaite lumière. Elles ont reçu la publicité répétée, de l’enseignement, du laboratoire et du livre. L’illustre physiologiste a bien dit ce qu’étaient les sécrétions internes. Il a fait ressortir l’universalité de ces productions, et l’importance de leur rôle, soit pour la constitution du sang, soit pour l’établissement d’une sorte de solidarité humorale entre toutes les parties de l’organisme. En vérité, rien ne manquait à la doctrine, ni le nom, ni la chose, ni la démonstration expérimentale dans un cas particulier, ni la conviction de son extension à tous les autres cas, ni le sentiment de sa portée considérable, ni la publicité. Il n’y avait plus que l’application qui fît défaut. Il était réservé à Brown-Séquard de réaliser ce dernier progrès.

Les physiologistes de profession savent bien ce qui appartient à chacun de ces maîtres : la doctrine à Claude Bernard ; à Legallois l’idée de la généralisation ; l’initiative de l’application à