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fois plus qu’elle ne lui vend. L’ensemble des autres nations vend à la Turquie un quart plus qu’elles n’achètent. Parmi ces nations, l’Allemagne lui achète trois fois moins qu’elle ne lui vend. Par suite, en Orient, la France est de tous les peuples celui qui, proportions gardées, apporte le plus d’argent et vend le moins de marchandises, et l’Allemagne, celui qui place le plus de marchandises et laisse le moins d’argent. L’une, malgré les débouchés qu’elle ouvre aux produits ottomans, les relations qu’elle noue, les obligés qu’elle fait, ne parvient pas à obtenir un échange de commandes ; l’autre, sans apporter de capitaux, sans rendre service aux producteurs orientaux, s’est fait une clientèle par l’art de servir les goûts du public. L’Allemagne, en trente ans, a su, partant de rien, se créer un marché de 30 à 40 millions ; nous avons mis trois cents ans à nous assurer un marché de même importance. Dire cela n’est pas montrer toute notre faiblesse. Ces 39 millions de marchandises que nous avons vendues à la Turquie en 1897, somme identique à celle de nos importations à la fin de l’ancien régime, ne sont pas l’étiage médiocre, mais du moins fixe, de notre activité commerciale. Tandis que s’élève la situation de nos rivaux, la nôtre baisse ; les gains non seulement de l’Allemagne, mais de l’Autriche, de l’Italie, de tous, sont faits de nos pertes. Chaque année détache de nous quelques acheteurs, chaque année nous enlève la primauté dans quelque produit[1]. En 1892, nous vendions 60 millions, 56 en 1893, 53 en 1891, 51 en 1895, nous étions descendus à 41 en 1896. En 1897, nous nous abaissons à 39. C’est la décadence lente, tranquille et continue. Ce sont les jours d’automne, qui se succèdent avec leurs lendemains presque semblables aux veilles, mais dont chacun, insensiblement plus court et plus sombre, conduit à l’hiver stérile la gloire féconde de l’été.


ETIENNE LAMY.

  1. Voyez le Bulletin mensuel de la Chambre française de commerce de Constantinople et, dans le Moniteur officiel du Commerce, les rapports de nos consuls.