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et de plaider auprès de cet acheteur la cause de leurs marchandises : ils continuent à croire qu’elles se recommandent d’elles-mêmes. Quand on les avertit qu’il serait temps de s’accommoder aux désirs et aux ressources de la clientèle orientale et de « lui en donner pour son argent, » ils demandent si on les confond avec des fabricans de pacotille. Quand ils apprennent que leurs produits sont abandonnés pour des produits rivaux et moins chers, ils répondent : « que l’acheteur infidèle essaie et compare ; il nous reviendra. » Forcés de voir sans l’œil du maître, et, pour apprécier le marché qui leur reste, réduits aux indications sommaires, lointaines, rares et suspectes de banquiers et de correspondans liés par la race, le séjour, les intérêts, avec les maisons orientales, ils ne protègent leurs intérêts de vendeurs que par des mesures générales, des procédés administratifs. Le plus simple est de faire des crédits très courts : moins il se passe de temps entre la livraison et le paiement, moins la solvabilité du débiteur a chance de s’amoindrir. C’est à trois mois qu’ils vendent. Et s’ils ne sont pas payés au jour dit, comme ils ignorent les causes du retard et sont hors de portée pour discerner les justes mesures à prendre, ils songent uniquement à sauver leur mise, lancent protêts et huissiers, et par ces procédés, quand ils ne perdent pas leur créance, perdent leur clientèle. Enfin pour soutenir, malgré tant de désavantages, la fidélité de leurs acheteurs, ils n’envoient, pas plus qu’autrefois, dans le Levant des mandataires directs chargés de faire valoir les supériorités des marchandises françaises, intéressés au succès, et familiers avec les populations. Nos consuls constatent que les voyageurs de commerce français sont à peu près inconnus dans tout le Levant : les seuls qu’on voie de loin en loin placent des eaux-de-vie. C’est aux hommes fixés à demeure par leurs propres intérêts dans les grandes villes de ce pays, que nos commerçans confient le soin de représenter par surcroît nos produits nationaux. Comme, parmi ces hommes, il y a peu de Français et beaucoup de Grecs, d’Italiens, d’Allemands, nos commerçans sont d’ordinaire représentés par des étrangers, les mêmes étrangers que nos concurrens prennent pour mandataires. Et ceux-ci ne reçoivent de nos industriels, comme cela était autrefois, que 2 pour 100 sur les bénéfices des opérations. Quand ces intermédiaires, Grecs, Allemands, Italiens, se trouvent représenter à la fois des maisons de leur nation et des maisons françaises, le patriotisme et