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ancien, semblait une Europe plus jeune, ses États occupés à établir leur indépendance et à défricher leurs domaines, avaient manqué de temps pour transformer par une industrie puissante leurs ressources naturelles.

L’Europe seule était capable d’accomplir ces métamorphoses. Et encore dire « l’Europe » est exagérer, car elle aussi, en ses contrées fort dissemblables, semblait une réduction de l’univers. Certains peuples, tels les Russes, faisaient leur mue de l’état barbare à la civilisation ; certains, tels les Espagnols, les Serbes, les Roumains, les Bulgares, gisaient inertes dans la gloire de leur passé comme dans une tombe trop vaste ; certains, actifs, persévérans, ingénieux, artistes, mais victimes de morcellemens historiques, tels les Italiens et les Allemands, se trouvaient paralysés dans leur croissance économique par leurs douanes intérieures, par leur éloignement de la mer, par l’insuffisance des travaux publics, par la pénurie des capitaux privés, bref par toutes les faiblesses inhérentes à l’insuffisance du nombre et à l’étroitesse du territoire. Deux nations sans plus, grâce à leur étendue, leur puissance, leur richesse, leurs aptitudes, leur situation maritime, échangeaient avec l’univers entier les produits qu’elles lui prenaient bruts et qu’elles lui rendaient fabriqués : c’étaient l’Angleterre et la France.

L’Angleterre s’était fait la part du lion. Outre que ses colonies assuraient un vaste marché à ses achats et à ses ventes, son propre sol lui fournissait le fer et la houille, élémens principaux des opérations industrielles. Si elle ne négligeait aucune sorte de productions, elle s’appliquait surtout à fabriquer par grandes masses les marchandises qui, machines, outils, fils, cuirs, tissus, deviennent à leur tour la matière première d’autres travaux et de transformations nouvelles. La France, incapable d’égaler cette activité qui se pèse en tonnes et se mesure en kilomètres, entreprenait moins d’œuvres, mais en poussait plus loin l’achèvement. Une vocation instinctive et la conscience de ses aptitudes la poussaient, au lieu de produire pour une clientèle de marchands, des objets partiellement ouvrés, à produire pour le public des objets tout prêts à l’usage. C’était surtout la constance de leur qualité, le fini de l’exécution, l’originalité, la grâce qui, triomphe de la probité et du goût français, faisaient le succès de notre labeur et la fortune de notre commerce. Pour l’importance des affaires, nous n’étions plus nulle part les premiers, nous étions partout les