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IV

Et peu à peu, assez vite même, en face de ces grands orateurs un peu « asiatiques, » pour reprendre les classifications de Cicéron, s’élevait une école peu préoccupée d’idées générales, ou plutôt peu soucieuse de s’appuyer sur elles, très éprise de logique serrée, de dialectique sûre, de discussion précise et directe. Et cette école a eu, sur ceux mêmes qui n’en avaient pas été d’abord, sur ceux que nous venons de nommer, une très grande influence, jusqu’à les modifier, si bien que les noms de Guizot et de Thiers vont revenir nécessairement à la fin de ce paragraphe où nous commençons par nous écarter d’eux. Dufaure, Duvergier de Hauranne, Molé, de Broglie, peuvent être considérés comme les représentans les plus en lumière de cette école de dialecticiens et de debaters.

Ils avaient pour trait commun qu’ils ne sortaient pas de la question. Saint-Evremond disait : « Dans toute affaire il n’y a que deux ou trois bonnes raisons à donner pour et contre. Quand on les a données, il faut s’arrêter, parce qu’ensuite on ne dit plus que des sottises. » Les Dufaure, les Duvergier, les Molé, les de Broglie étaient très convaincus de cette vérité. Prendre le fait qui était en question, l’examiner en lui-même, ne l’éclairer que par les faits évidemment et strictement connexes, aller pas à pas de la « position de la question » à une conclusion rigoureusement tirée de tous les argumens employés et ne les dépassant pas, telle était leur méthode commune. En somme, pour eux, un discours était l’analyse d’un fait, ou tout au plus d’une situation.

Dufaure surtout se bornait à cela avec une sorte de rigueur jalouse et d’intransigeance hautaine. Quand il commença à parler, en 1835, il fit une espèce de révolution dans l’art oratoire. Proprement, il transporta à la tribune l’éloquence judiciaire, comme il est arrivé à d’autres de transporter au barreau l’éloquence politique. Chaque question, pour lui, était un procès, et, dans chaque procès, le point le plus important, le plus difficile à élucider, et qui n’était jamais assez éclairci, était le point de fait.

Au fond, ces différences se ramènent à être des différences d’objectif, d’objet regardé, littéralement. Les Royer-Collard, les Guizot et les Thiers à leurs débuts (et pourquoi M. Pellisson n’a-t-il pas consacré une page ou une note à Mauguin, qui ca-