Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec le « bon goût » pour critérium, c’eût été une entreprise vaine, toute de rhétorique, et d’inutile rhétorique. »

C’est précisément, m’exposant, autant que je m’y résigne, aux mépris des esprits sérieux, cette entreprise vaine, toute de rhétorique et de rhétorique inutile, que je me propose ici ; et ce sont les différens aspects qu’a revêtus successivement notre éloquence politique depuis 1830 et les changemens principaux qui sont arrivés dans son état, que, brièvement, sans m’occuper, pour aujourd’hui, du fond des choses, je voudrais examiner, en simple rhéteur, ou plutôt en lecteur qui feuillette le moderne De claris Oratoribus dont on veut bien nous enrichir.

I

Il est remarquable comme l’éloquence politique d’avant 1830, et surtout d’après 1830 pendant une dizaine d’années, est pénétrée et comme animée tout entière de philosophie politique. On sent ici l’influence de Royer-Collard, laquelle fut immense et du reste très salutaire, ou plutôt qui eût été aussi salutaire qu’elle fut profonde, si tous ceux qui la subissaient eussent possédé un esprit philosophique de la même force, ou approchant, que leur illustre chef. Jamais, jusque vers 1840, jamais Guizot, plus historien pourtant que philosophe, maniant l’abstraction politique avec la force qu’il avait en tout, mais avec une certaine raideur où l’on sent l’effort, jamais Guizot ne prononça un discours politique sans le rattacher solidement et comme rudement à une grande idée générale. Guizot veut-il défendre l’institution de la pairie héréditaire ? Royer-Collard vient de parler ; il semble que c’est Royer-Collard qui continue :


… Les Italiens ont un proverbe qui dit : « Le monde va de lui-même » ; et bien lui en prend ; car, s’il n’avait pour aller que les lois que les hommes prétendent lui donner, il se détraquerait plus souvent que cela ne lui arrive, et pourrait même quelquefois s’arrêter tout à fait. Le monde va de lui-même ; c’est-à-dire que le monde va en vertu de certaines lois naturelles, de certains principes primitifs et universels et, grâce à Dieu, il n’est pas au pouvoir des hommes de l’empêcher d’aller. Eh bien, parmi ces principes, il y en a deux qui me frappent comme les plus puissans, comme invincibles : l’hérédité, et l’activité individuelle ou la personnalité. Par l’hérédité, chaque individu, chaque génération reçoit de ses prédécesseurs une certaine