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souvent ce vieux squelette, si on ne veut le voir s’affaisser et se briser. La Chine est une sorte d’Etat amorphe, dont les diverses parties sont unies par des liens que nous connaissons mal, mais qui sont assez lâches ; la principale force de cohésion réside dans la tradition et dans l’existence de la classe gouvernante des lettrés, recrutée dans tout l’empire au sein même du peuple. D’autre part, des germes sérieux de désaffection existent : la dynastie actuelle est une dynastie étrangère, que la terrible insurrection des Taïpings, réprimée seulement avec l’aide des Européens, a mise au milieu du siècle à deux doigts de sa perte, et des descendans de l’ancienne dynastie nationale des Ming existent encore. De plus l’accession au trône de l’Empereur actuel paraît être, selon les idées chinoises, entachée d’irrégularité ; la Chine est rongée de sociétés secrètes, dont un grand nombre ont pour but un changement de l’ordre établi. Sans doute le peuple est profondément indifférent à la politique ; il se montrerait même rarement hostile à l’endroit des étrangers, pour peu que ceux-ci fussent prudens, s’il n’était poussé par des lettrés fanatiques ou mécontens ; toujours est-il pourtant qu’il obéit facilement à ces excitateurs. Or, dans tout chef-lieu de district, dans toute préfecture ou sous-préfecture, il se trouve toujours une masse de lettrés sans place, aigris et faméliques, exerçant souvent pour vivre les métiers les plus humbles, intimement mêlés à la vie du peuple, mais profondément respectés par lui et prêts à susciter des troubles contre les Européens et tout ce qui vient d’eux.

Le gouvernement de Pékin est aujourd’hui trop convaincu de sa faiblesse extérieure pour oser résister à aucune demande des puissances. Mais, si on le presse trop, si on l’oblige à introduire ou à laisser introduire trop vite et partout à la fois des innovations de toute sorte, on risque de soulever contre lui l’opinion à peu près unanime des lettrés, qui sentent, non sans raison, une menace pour leurs privilèges dans toute extension de l’influence européenne ; de voir même une résistance active s’organiser surtout dans les provinces du Centre et du Sud, moins aveulies que celles du Nord ; et de provoquer ainsi, pour peu qu’il se trouve quelques chefs, une désagrégation complète du Céleste-Empire. Déjà des troubles se font sentir dans le Setchouen, et même plus à l’est dans la moyenne vallée du Yang-tze. Une insurrection assez sérieuse paraissait avoir éclaté l’été dernier dans le Kouang-si et le Kouang-toung ; sans doute on en a appris la répression, mais une