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bonne posture le jour où l’on voudrait revenir au jeu d’une façon plus sérieuse, paraissaient devoir laisser un répit de quelques années. La Russie construisait son chemin de fer qui, malgré toute la diligence apportée à son exécution, ne devait atteindre le fleuve Amour qu’à la fin de 1899 et le Pacifique au plus tôt vers 1903 ou 1904. Le Japon, tout en s’attelant à la tâche ardue d’établir l’ordre à Formose, s’armait jusqu’aux dents : pour être prêt à une lutte avec la Russie, qu’il croyait inévitable tout en la redoutant, il doublait son armée, faisait construire en Europe et en Amérique une flotte de premier ordre, qui devait lui assurer la suprématie maritime sur les côtes de Chine, mais ne pouvait être achevée aussi que vers 1904 ou 1905. La France pacifiait définitivement le Tonkin et se mettait en devoir d’étudier le tracé des chemins de fer qu’on lui avait concédés. L’Angleterre poussait en avant ses voies ferrées de Birmanie, envoyait ses vapeurs dans la rivière de l’Ouest ; ses capitaux, unis à ceux de l’Allemagne et de l’Amérique, avaient la plus large part dans le mouvement industriel, qui s’était créé à Shanghaï et semblait devoir s’étendre à d’autres ports, à la suite du traité de Shimonosaki.

La Chine elle-même profitait du répit qui lui était laissé pour s’assoupir de nouveau. Elle n’avait rien appris et rien oublié. Quand son principal homme d’État, Li-Hung-Chang, avait été envoyé en Europe et en Amérique, en 1896, ce n’était pas seulement parce qu’il se trouvait mieux préparé qu’aucun autre, par sa longue fréquentation des étrangers, à comprendre ce qu’il verrait et à traiter avec eux, c’était aussi, surtout peut-être, parce qu’il était disgracié. On offrit, dit-on, cette mission au prince Kong ou au prince Ching, oncles de l’Empereur : « Eh ! qu’avons-nous donc fait, se seraient écriés ces hauts personnages, pour qu’on nous inflige cette humiliation, de nous envoyer parmi les barbares ? » Le voyage de Li-Hung-Chang était donc une punition de plus ajoutée à la perte de sa plume de paon et de sa jaquette jaune. Si ses observations l’ont confirmé dans les idées progressives qu’on lui prêtait, et qui ne l’ont jamais été que d’une façon toute relative, son influence a incontestablement diminué et, à travers les vicissitudes de rentrées en grâce et de privations de fonction qui ont signalé sa carrière depuis son retour en Chine, il n’a pu exercer assez d’action pour vaincre les préjugés de la cour et de l’immense majorité des lettrés.

Tout ce qu’on accorda au progrès, ce fut de faire construire