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Ils avaient prétendu y imposer, avec une excessive brusquerie, les réformes les plus variées et les plus profondes. Beaucoup des mesures qu’ils prirent étaient bonnes en elles-mêmes, mais auraient dû être introduites avec de grands ménagemens ; d’autres étaient impossibles à défendre et mécontentaient vraiment le peuple en s’attaquant à ses usages les plus chers, par exemple à son costume traditionnel. Les Coréens, gens pourtant fort malpropres, ont l’habitude de s’habiller tout de blanc, de fumer d’immenses pipes, de porter leurs cheveux relevés en chignon, et surmontés d’un chapeau aux bords gigantesques, mais dont la coiffe est trop petite pour leur tête et qu’ils font tenir avec des brides.

Pourquoi les représentans du Mikado interdirent-ils les longues pipes, les chignons, les chapeaux à petite coiffe et à grandes ailes, et voulurent-ils même faire remplacer les vêtemens blancs par des vêtemens bleus ? On a dit que c’était pour donner le goût du travail aux Coréens qui, obligés de tenir d’une main leur pipe et de rajuster fréquemment de l’autre leur instable coiffure, ne pouvaient s’y livrer avec ardeur. Toujours est-il qu’aux portes de Séoul, les sentinelles japonaises, armées de forts ciseaux, arrachaient aux infortunés campagnards qui venaient en ville leur couvre-chef, coupaient leurs cheveux, raccourcissaient des trois quarts leurs tuyaux de pipes et les renvoyaient chez eux, ahuris et navrés. Rien d’étonnant à ce qu’une telle conduite, jointe à de trop fréquentes violences, attirât aux conquérans la haine des indigènes, gens pourtant tranquilles et inoffensifs d’habitude. La mesure devint comble, lorsque la Reine, qui s’était toujours montrée hostile aux insulaires, fut assassinée dans son palais, le 7 octobre 1895, par des gens à leurs gages, avec la complicité patente du ministre du Japon et la collaboration effective d’une partie du personnel de la légation. Le faible roi Li-Hsi, dont le règne n’a été qu’une longue succession d’intrigues, d’attentats et de révolutions de palais, vivait sous la terreur des baïonnettes japonaises, et avait à ce point abdiqué toute autorité et toute dignité qu’il consentait à signer un édit dégradant la Reine après sa mort et portant contre elle les plus honteuses accusations ; des innocens étaient exécutés à Séoul, tandis que les vrais meurtriers étaient acquittés par les tribunaux japonais.

Pendant ce temps, la Russie exploitait avec habileté le mécontentement général et faisait offrir en sous-main sa protection