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procurer par deux moyens : soit en augmentant les impôts ; soit en autorisant les étrangers à exploiter les ressources du pays, en leur concédant des chemins de fer, des mines, moyennant des redevances ou des partages de bénéfices. Le premier procédé risquait de soulever des mécontentemens populaires ; le second était très tentant ; mais c’était l’introduction dans le pays de cette civilisation occidentale à laquelle le gouvernement chinois s’opposait depuis un demi-siècle de toute sa force d’inertie.

De toute façon, les besoins d’argent du Céleste-Empire devaient aboutir inéluctablement à une immixtion croissante des Européens dans ses affaires, ne fût-ce que comme collecteurs d’impôts, et à une sorte de mainmise financière, dont l’exemple de pays tels que l’Egypte est là pour montrer les dangers. Le gouvernement de Pékin s’en rendait bien compte et c’est pour cela qu’il avait fait tant d’efforts pour obtenir une réduction sur les 800 millions d’indemnité de guerre et qu’en dernier lieu, il avait encore tenté de s’entendre avec le Japon pour régler, sans versemens de numéraire, la rétrocession du Liao-toung.

L’extrême importance de cette question d’argent ne fut nulle part comprise mieux qu’à Saint-Pétersbourg ; c’est ici qu’il faut vraiment admirer la hardiesse et l’habileté de la politique russe. Qu’un pays regorgeant de capitaux comme la France ou l’Angleterre eût essayé de conquérir une situation prépondérante dans le Céleste-Empire en s’en faisant le bailleur de fonds, cela n’aurait rien eu de surprenant. Mais qu’un État tel que la Russie, lui-même débiteur de l’étranger, dont la seule dette publique extérieure s’élevait à plus de six milliards de francs, ait su se faire un levier d’influence de services d’argent, soumettre la Chine à une sorte de vasselage financier, c’est vraiment un coup de maître. M. de Witte, ministre des Finances du Tsar, à qui revient l’honneur d’avoir conçu et mené à bien cette entreprise, et qui dirigea, pardessus la tête du ministre des Affaires étrangères, toutes les négociations préparatoires, montra, dans cette circonstance, que son adresse diplomatique et sa prévoyance politique ne le cédaient en rien à ses aptitudes spéciales. Ne pouvant prêter directement à la Chine, la Russie lui donnait son aval, ce qui permettait d’émettre avec le concours des principales banques de Paris, où la faveur des fonds russes était à son apogée, un emprunt chinois 4 pour 100 de 400 millions, garanti par la Russie, au cours de 94, c’est-à-dire au même cours où, avant cette garantie, les grandes maisons