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auraient permis d’être les premiers à profiter de cette révolution.

Si l’on avait su voir à Londres les conséquences de l’effondrement de la Chine, on n’avait pas manqué non plus de s’en rendre compte ailleurs, notamment à Saint-Pétersbourg, et l’événement a prouvé qu’on s’y montra plus habile et plus résolu. On y avait vu la guerre avec autant de déplaisir qu’en Angleterre, car on aurait aimé voir différer l’ouverture de la question d’Extrême-Orient, jusqu’au jour où la Russie serait prête à la résoudre en sa faveur, c’est-à-dire jusqu’à l’achèvement du transsibérien. L’objet crue poursuit en Extrême-Orient la politique russe, directement opposée à la politique anglaise, est d’abord d’acquérir une issue sur la mer libre. L’Empire des Tsars n’en possède aucune en Europe, où les « clefs de sa maison » sont entre les mains d’étrangers ; les Anglais lui ont barré colle qu’il cherchait vers le sud, il y a quinze ou vingt ans, par l’Afghanistan et le Béloutchistan. En Extrême-Orient, il était bien parvenu, au milieu du siècle, à descendre de la mer, vraiment polaire, d’Okhotsk et à s’avancer, aux dépens de la Chine, jusqu’à Vladivostok, par 43e de latitude ; mais ce port même était fermé par les glaces pendant deux mois. Aussi la Russie ne considérait-elle ses provinces de l’Amour et du littoral que comme une position d’attente et comptait-elle profiter de la première occasion favorable pour se porter plus au sud. A plusieurs reprises, de 1880 à 1886, le bruit avait couru qu’elle allait se faire céder quelque baie en Corée, ou même l’île de Quelpaërt dans le détroit qui sépare ce pays du Japon. Plus tard, elle sembla regarder avec convoitise Port-Arthur et Talien-wan ; ces mouillages libres de glace, situés à l’extrémité de la presqu’île du Liao-toung, devaient lui donner accès à une mer ouverte en arrière de la Corée ; — et ils possédaient encore d’autres avantages.

A l’entrée rétrécie du golfe de Petchili, à 80 kilomètres seulement de la côte opposée du Chantoung, à 300 kilomètres à peine de l’embouchure du Peï-ho, la rivière de Tientsin et de Pékin, ces ports forment une excellente position navale, une base d’opérations de premier ordre, d’où une flotte de transports rapides peut amener des troupes en moins de vingt-quatre heures à Takou, c’est-à-dire à quatre jours de marche de Pékin. Établie à Port-Arthur et ayant ses coudées franches dans le Petchili, la Russie pourrait exercer sur le gouvernement chinois, dans sa capitale actuelle, une action aussi irrésistible que l’eût été celle