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VI

Ce fut dans les derniers jours de mai 1698, c’est-à-dire au moment où se préparait l’éclatante disgrâce des derniers amis de Fénelon, que le Roi rendit publique son intention de tenir à Compiègne ce qu’on appelait alors un camp. Saint-Simon explique cette résolution subite par le désir d’étonner l’Europe en pleine paix « par une montre de sa puissance qu’elle croyoit avoir épuisée par une guerre aussi générale et aussi longue ; » et en même temps « de se donner et plus encore à Madame de Maintenon un superbe spectacle sous le nom de M. le duc de Bourgogne[1]. » Que Louis XIV voulût étonner l’Europe, cela est plausible, car il ne se complaisait que trop dans ces démonstrations orgueilleuses. Quant à la seconde raison, elle est puérile. Mous verrons, au contraire, qu’à ce camp il fallut traîner malgré elle Mme de Maintenon. Il n’y a pas besoin d’aller chercher si loin le véritable mobile de Louis XIV.

« En 1698, dit un document qui existe aux archives du ministère de la Guerre[2]le Roy voulant lui-même apprendre la guerre à M. le duc de Bourgogne, donna des ordres pour assembler une armée près Compiègne… Sa Majesté avoit fait un mémoire de toutes les choses dont elle vouloit que Mgr le duc de Bourgogne fût instruit et de tous les mouvemens que l’armée feroit durant son séjour au camp. » En roi prévoyant, c’était au duc de Bourgogne que Louis XIV avait songé avant tout, car il considérait comme un de ses principaux devoirs de former son successeur. Il semblait avoir renoncé à tirer quelque parti de Monseigneur, qu’il laissait courre le loup ou le cerf à sa guise. À un jeune prince qui donnait au contraire tant d’espérances, il pensa qu’il était temps d’enseigner, dans une de ses parties les

  1. Saint-Simon, édit. Boislisle, t. V, p. 142.
  2. Ce document, le premier d’une série cataloguée sous la rubrique Camps et Manœuvres, est postérieur à la mort de Louis XIV, car il y est question du « feu Roi « . C’est le résumé et presque la reproduction d’un Mémoire antérieur, qui aurait été écrit en entier de la main de Louis XIV lui-même. Ce Mémoire se trouvait en original à la bibliothèque du Louvre et a été détruit en 1871, lors de l’incendie. Il avait été publié en 1837 par M. Vatout, dans la Revue Militaire. Il existe en outre au Dépôt de la Guerre et à la Bibliothèque Nationale un certain nombre de documens relatifs au camp de Compiègne, entre autres une instruction intéressante sur la marche et la tenue des régimens, ainsi qu’un plan du camp avec la place occupée par les différens corps.