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qu’il en soit, le Roi a bien déclaré que M. de Cambrai ne reviendrait jamais.[1]. » Ce fut seulement, en effet, au commencement de l’année 1699, c’est-à-dire six mois plus tard, que Louis XIV raya de sa propre main sur l’État de la Cour, le nom de Fénelon comme précepteur des Enfans de France, qu’il supprima ses appointemens, et disposa de son appartement en le donnant, par une faveur un peu cruelle, à Madame de Lévis, la fille du duc de Chevreuse, non moins ami de Fénelon que son beau-frère Beauvillier. Mais ces dernières mesures de rigueur passèrent presque inaperçues, tant, depuis l’éclat de l’année précédente, la disgrâce de Fénelon semblait complète et irrévocable aux yeux des courtisans. Au lendemain du renvoi de ceux qu’il appelait les quatre hommes remerciés, Bossuet pouvait écrire avec vérité : « La cabale est humiliée jusqu’à la désolation. » Notons que Bossuet se sert ici de la même expression que tout à l’heure Saint-Simon, car aux yeux de chacun des deux partis engagés dans « l’Affaire, » l’autre n’était qu’une cabale.

À cette cabale humiliée et désolée appartenait cependant le duc de Bourgogne. On voudrait savoir avec quels sentimens il supporta ce coup. Deux années auparavant, lors de la première disgrâce de Fénelon, il s’était jeté aux genoux du Roi pour obtenir la grâce de son maître. Cette fois il n’essaya rien, soit qu’il connût l’inflexibilité de son grand-père, soit que ces amis subalternes lui tinssent moins au cœur. Il semble même que cette résignation et ce silence aient encouragé une tentative qui fut faite pour le déprendre de Fénelon. Madame de Maintenon, par ordre assurément, l’essaya : « M. le duc de Bourgogne est venu me voir ce matin, écrivait-elle à l’archevêque de Paris. Je l’ai entretenu des maximes de M. de Cambrai. Il m’assure qu’elles sont très mauvaises, quoique spécieuses. » Mais elle ajoute aussitôt : « Je ne sais s’il est sincère, mais je parlerai toujours selon mon cœur. Dieu fera le reste[2]. »

L’attitude contrainte du duc de Bourgogne, qu’on devine à travers cette lettre, laisse deviner ce qui devait se passer dans son cœur. Sur la doctrine il s’inclinait ; sur l’homme il ne cédait rien. Il se taisait : que pouvait-on lui demander de plus ? Sensible

  1. Œuvres complètes, édit. Lâchât, t. XXIX, p. 499.
  2. Mme de Maintenon, Correspondance générale, t. IV, p. 108. Lavallée donne à cette lettre la date du 12 juillet 1697. M. Griveau, t. II, p. 29, la place, avec raison, croyons-nous, en 1698.