Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

émotion qu’à tout ce qui lui revenoit de divers côtés, il ne doutoit point qu’il ne fût dans le péril que je venois de lui représenter, mais qu’il n’avoit jamais souhaité aucune place ; que Dieu l’avoit mis en celles où il étoit ; que, quand il les lui voudroit ôter, il étoit tout près de les lui remettre ; qu’il n’y avoit d’attachement que par le bien qu’il y pouvoit faire ; que, n’en pouvant plus procurer, il seroit plus que content de n’avoir plus de compte à en rendre à Dieu, et de n’avoir plus qu’à le prier dans la retraite où il n’auroit plus qu’à penser à son salut ; que ses sentimens n’étoient point opiniâtreté ; qu’il les croyoit bons, et que, les pensant tels, il n’avoit qu’à attendre la volonté de Dieu en paix et avec soumission, et se garder surtout de faire la moindre chose qui pût lui donner des scrupules en mourant. » « Il m’embrassa, ajoute Saint-Simon, avec tendresse, et je m’en allai si pénétré de ces sentimens si chrétiens, si élevés, et si rares que je n’en ai jamais oublié les paroles[1]. »

Si jamais Beauvillier « posséda son âme en paix, » pour employer la forte expression de Saint-Simon, ce fut assurément ce jour-là. Son calme devait au reste avoir raison contre l’agitation de Saint-Simon, et l’orage qui grondait sur lui finit par tomber sur des subalternes. Depuis qu’il était sorti des mains des femmes, le duc de Bourgogne avait auprès de lui un sous-précepteur, l’abbé de Beaumont, et un lecteur, l’abbé de Langeron. L’abbé de Beaumont était le propre neveu de Fénelon, et l’abbé de Langeron le fils d’une de ses pénitentes. Le duc de Bourgogne avait également deux gentilshommes de la manche, du Puy et Léchelle, gens de bien, mais assez obscurs, auxquels leur piété et leur attachement à la personne de Beauvillier et du prélat avaient valu cette situation, un peu disproportionnée avec leur mérite. Ce furent eux qui payèrent pour leurs protecteurs. Le 2 juin 1698, avant le Conseil, le Roi eut une longue conversation avec Beauvillier. Dans l’après-midi, on sut que sous-précepteur, lecteur, et gentilshommes de la manche étaient chassés de la Cour. Ce fut vainement que Beauvillier sollicita pour eux au moins la continuation de leurs appointemens « parce qu’ils n’avoient point de pain. Le Roi, ajoute Sourches, le refusa tout net[2]. »

Le lendemain on apprit encore une autre nouvelle. Fénelon avait un neveu de son nom, qui était exempt aux gardes. Le

  1. Saint-Simon, édit. Boislisle, t. V, p. 148.
  2. Sourches, t. VI, p. 38.