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la province, au moins provisoirement, sous la souveraineté du sultan, qui nommerait les plus hauts fonctionnaires et même les officiers supérieurs. On voit que les auteurs du Mémoire ont tout prévu : l’Europe n’a plus qu’à donner sa signature et à obtenir celle d’Abdul-Hamid.

Elle y regardera sans doute à deux fois avant de se lancer dans une pareille aventure : déjà la Russie a manifesté par une note officieuse qu’elle la condamnait absolument. La question macédonienne est plus difficile à résoudre que ne l’imaginent les auteurs du Mémoire. Quoi qu’ils en disent, la Macédoine est et elle restera profondément divisée. L’histoire a accumulé comme à plaisir sur ce point du monde les débris de vingt races différentes, qui vivent à côté les unes des autres et prennent le plus grand soin de ne pas se fondre en un seul bloc national. Tous détestent le Turc, mais ils ne se détestent pas moins les uns les autres, et, si le Turc provoque leur haine, ce sentiment est moins actif que la jalousie qui se développe naturellement entre eux et y reste toujours en éveil. La situation est presque inextricable. En Crète, il n’y a qu’une race, puisque les musulmans y sont Grecs d’origine comme les chrétiens : en Macédoine, il y a des Roumains, des Bulgares, des Serbes, des Hellènes, des Koutzo-Valaques, etc., etc., et chacune de ces races aspire à dominer toutes les autres. Comme elle ne peut pas y parvenir par ses seules forces, elle cherche un appui à l’étranger, tantôt en Serbie, tantôt en Bulgarie, tantôt ailleurs, et à leur tour Bulgarie et Serbie en cherchent à Saint-Pétersbourg, à Vienne, ou encore plus loin.

Elles l’y trouvent quelquefois, pas toujours : il semble bien que les Bulgares n’ont rencontré aujourd’hui aucun encouragement à Saint-Pétersbourg, et qu’ils en aient éprouvé quelque impatience. Personne ne doute, en effet, que le mouvement actuel ne soit d’origine bulgare, et peut-être faut-il y rattacher les incidens politiques qui viennent de se dérouler à Sofia. La démission du ministère Stoïlof est due à d’autres causes encore, mais celles-ci n’y sont pas étrangères. On sait que le ministre bulgare avait conçu et préparé tout un plan qui devait aboutir à la mainmise du gouvernement sur les chemins de fer qui traversent la Roumélie orientale, et, par ce moyen, à la réalisation d’un projet de conversion. Malheureusement, on avait besoin de l’autorisation de la Porte, et il fallait même qu’elle se produisît avant le 1er février ; sinon, les contrats passés avec les compagnies fermières tombaient de plein droit. Rien n’est plus habituel à la Porte que de déguiser un refus sous un ajournement. Le sultan a été malade : sa réponse n’est pas arrivée en temps opportun, et les choses en sont restées là. M. Stoïlof