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La Reine avait fait mettre ses pierreries dans des coffres et s’était habillée d’une robe courte. Elle ordonna qu’on ouvrît la fenêtre. Cadillac sauta dans la chambre et se jeta à ses pieds. Quand il eut prononcé le nom du duc d’Epernon, tout le monde comprit ; les résistances tombèrent.

La Reine troussa elle-même sa robe autour de sa ceinture et s’avança vers la fenêtre. Le comte de Brenne passa le premier, la Reine descendit la seconde, Du Plessis, qui ne l’avait pas quittée, le troisième, et ensuite les autres, c’est-à-dire Cadillac, deux exempts des gardes et la femme de chambre, Catherine.

La fenêtre de la chambre de la Reine est à plus de cent vingt pieds au-dessus du sol. La Reine, grosse et lourde, eut toutes les peines du monde à descendre la première échelle. Arrivée à la terrasse, elle n’en pouvait plus et déclara qu’elle ne mettrait pas le pied sur la seconde échelle. Heureusement, il y avait à cet endroit un éboulement. On la mit sur un manteau qui, attaché par des cordes, fut glissé le long du terre-plein, et elle arriva ainsi en bas, sans encombre. Le comte de Brenne la prit sous un bras, Du Plessis sous l’autre, et elle marcha ainsi, à pied, vers la rivière, traversant la ville endormie. Le groupe fut rencontré par des soldats qui, voyant cette femme entre deux hommes, crurent que c’était quelque ribaude. Elle dit elle-même, en riant : « Ils me prennent pour une bonne dame. »

Bientôt, on fut au Pont. Le carrosse était caché dans une ruelle. En ne le voyant pas, on eut encore un moment d’angoisse. Mais un page vint avertir. La Reine monta dans le carrosse avec le comte de Brenne, Du Plessis et sa femme de chambre, Catherine. On emportait des cassettes pleines d’or et de pierreries. La Reine ne pouvait rester en voiture sans lumière : aussitôt hors du faubourg, on alluma des flambeaux. On galopa vers Montrichard. L’archevêque de Toulouse y était. Ruccellaï aussi, plein d’anxiété. Ne pouvant plus y tenir, il partit, avec quelques cavaliers, en avant, sur la route de Blois. Il salua le premier la Reine. On peut deviner la joie.

Puis, ce fut, à Montrichard même, l’archevêque de Toulouse ; puis, les chevaux changés, on repartit aussitôt, par le chemin de Loches, où on rencontra, à une lieue de la ville, le duc d’Epernon, accompagné de cent cinquante chevaux. Il salua la Reine et lui offrit son service. Elle ne tarit pas en remerciemens, en promesses et en effusions. Le duc reçut, de la Reine, le commandement de