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qui les dominent à leur insu, ils n’aient plus, après l’instruction terminée, le calme et la liberté morale indispensables pour faire l’office déjuges. » MM. Mazeau, Dareste et Voisin demandent donc que la Cour de cassation tout entière soit associée à l’arrêt définitif. C’est un lourd fardeau qui va peser sur elle. Nous souhaitons vivement qu’il paraisse allégé lorsqu’il sera supporté par les trois chambres au lieu d’une seule ; mais nous ne sommes pas sûr qu’il en sera ainsi. Sans doute la Cour plénière, éclairée par l’expérience de la chambre criminelle, évitera quelques-unes des imprudences qu’on reproche à celle-ci ; mais échappera-t-elle à toutes ? On a dit que certains membres de la chambre criminelle avaient laissé voir leur opinion sur l’affaire Dreyfus avant d’être saisis de la demande de révision. Comment en aurait-il été autrement ? Lorsque la procédure de révision a été ouverte, l’affaire passionnait les esprits depuis sept ou huit mois déjà, et était l’objet de toutes les conversations. Quelle que soit la réserve exigée des magistrats, il était bien difficile que tous les membres de la chambre criminelle eussent gardé le mutisme d’une statue ; mais cela n’est pas moins difficile de la part des membres de la chambre civile et de la chambre des requêtes, et l’est même davantage, puisqu’ils sont plus nombreux. On recherchera leurs paroles d’hier, on leur en attribuera ; on interprétera jusqu’à leurs gestes ; ils seront soumis à la même inquisition rétrospective que leurs collègues de la chambre criminelle : nous ne saurons que dans quelques jours ce qu’on aura pu découvrir contre eux, mais on-découvrira certainement quelque chose. Ils sortiront indemnes de cette enquête passionnée ; mais leurs collègues ne sont-ils pas sortis de même de celle qui a été faite sur eux ; et pourtant l’autorité de leur arrêt a été d’avance infirmée. Qu’a-t-on pu leur reprocher avec quelque justice ? Le ton de deux documens. Nous l’avouons : le rapport de M. Bard et le réquisitoire de M. Manau avaient l’allure de la polémique, et de la plus vive. L’impression qui en est résultée a été fâcheuse. On a usé et abusé de ce grief contre la chambre criminelle : la Cour plénière n’aura garde de s’exposer à celui-là. Mais, parmi les autres, il n’en est peut-être pas un seul qui ne soit de nature, d’ici à quelques jours, à pouvoir être dirigé contre elle avec la même violence et peut-être avec la même efficacité. Nous défendrons alors la Cour comme nous avons défendu une de ses chambres, mais il est probable que nous n’aurons pas les mêmes alliés de rencontre. On verra alors si tous ceux qui luttent depuis quelques jours avec une si belle ardeur pour l’honneur de la chambre criminelle, sont inspirés, comme nous, par un sincère respect de la magistrature.