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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 février.


La Chambre des députés vient de voter, à une majorité de 116 voix, une loi qui remet à la Cour de cassation, toutes chambres réunies, le soin de rendre l’arrêt définitif sur la révision de l’affaire Dreyfus. Nous ne sommes pas de ceux qui ont désiré cette loi. Elle a pour nous de nombreux inconvéniens : le premier est d’ajourner de plusieurs semaines, et sans doute même de plusieurs mois, un arrêt si impatiemment attendu ; le second est de prêter à des interprétations diverses et de laisser croire qu’en modifiant la composition du tribunal, on a voulu influer sur le jugement. Il en est ainsi, bon gré, mal gré, de toutes les lois de circonstance ; et, si nous examinons celles qui ont donné lieu au projet de loi, que voyons-nous ? À la suite d’une dénonciation retentissante, une enquête a eu lieu sur un certain nombre de magistrats : elle n’a pas prouvé grand’chose. C’est à nos yeux une troisième raison de regretter le dépôt du projet de loi, et de le trouver injustifié. Mais, ceci dit, et maintenant surtout que la loi est votée, que faut-il en penser ? Elle est incontestablement bonne en elle-même : loin de diminuer les garanties de la justice, elle les augmente. L’autorité de l’arrêt ne pourra que gagner à ce qu’il soit rendu par la Cour de cassation tout entière, au lieu de l’être par une de ses chambres seulement. Nous nous serions inclinés devant cet arrêt s’il avait été rendu par la chambre criminelle ; nous nous inclinerons devant lui avec non moins de confiance lorsqu’il l’aura été par la Cour plénière. Un vieil axiome dit que ce qui abonde ne nuit pas. Telles sont les observations générales que nous inspirent le dépôt intempestif du projet et le caractère même de la loi ; mais il faut revenir sur les faits, et les exposer avec plus de détails.

La chambre criminelle de la Cour de cassation instruisait très régulièrement la demande de revision dont le garde des Sceaux, ministre de la Justice, avait pris l’initiative dans l’affaire Dreyfus. Elle était chargée de tout. Elle devait ouvrir et poursuivre toutes les