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mer berçait le rêve de triomphe. Corps bruns de Provençales, blanches Flamandes, Bretonnes à la peau soyeuse, alertes Gasconnes les réjouirent. Ils apaisaient leur soif obscure de terrasser et d’étreindre, que ce fût pour l’amour, que ce fût pour la mort. » Cette manie de traduire tous les sentimens sous les espèces de la sensation, de transposer toutes les émotions dans l’ordre de l’émotion sexuelle, c’est la marque et c’est la tare laissée chez M. Paul Adam par sa ferveur baudelairienne. Ce n’est pas tout. Dès la première rencontre entre Bernard et Aurélie, on ne nous donne pas seulement à entendre, mais on explique avec une brutale insistance que ce frère regarde sa sœur avec des yeux de désir. Ni le frère ni la sœur ne se trompent sur la nature de l’émotion qu’ils ressentent l’un près de l’autre. En sorte que sur leurs entretiens plane sans cesse une promesse ou une menace d’inceste. Il y a mieux. L’adolescente que Bernard a violentée après la bataille de Messkirch avait des cils bruns et des yeux clairs. C’est pour avoir retrouvé chez Virginie de pareils cils bruns et de pareils yeux clairs, que Bernard en fait sa femme. Voici que Virginie met au monde une fille : « comme sa mère, elle eut de sombres cils et des yeux clairs, pareils aux sombres cils et aux yeux clairs du fils enfanté par Aurélie, le mois suivant. » En sorte que Bernard aime sa femme, sa fille, son neveu, à travers le souvenir de l’ignoble action. Ces confusions, ces substitutions de personne, ces directions d’intention et perversions des sens, quelles vilenies ! Je n’ignore pas que l’époque du Directoire fut marquée par un débordement de sensualité, une avidité de jouissance, une revanche de la joie de vivre. Et je ne prétends pas davantage que les hussards de Moreau ou les dragons de Bonaparte fussent des anges de réserve et de pudicité. Cette profusion de sales images, cette recherche et ce raffinement dans l’invention libertine n’en restent pas moins sans excuse. Ce sont des gentillesses de débutant qui s’attarde aux audaces faciles. Au point de sa carrière où est parvenu M. Paul Adam, il doit s’affranchir de procédés indignes de lui et les laisser à ceux dont l’art insuffisant a besoin du ragoût du scandale. Il n’a pas dans son talent autant de confiance que nous en avons pour lui. Nous le croyons très capable d’écrire un livre qui s’imposera par sa vigueur saine et sa probité robuste. C’est ce livre que nous attendrons désormais de lui.

Peut-être aussi l’auteur de la Force ne s’est-il pas encore complètement dégagé de la manière obscure, des surabondances et des redondances de ses précédens écrits. La lecture de son livre est souvent fatigante. D’abord il y a chez M. Paul Adam un théoricien qui nuit à l’artiste. Il a jadis défini le roman, une œuvre qui a pour objet de nous