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s’élève au terme d’une étude d’art, surtout de musique, lorsqu’elle a porté sur les idées, les principes et les théories. Toujours le mot de Veuillot : « Mazzini a entrevu quelque chose. » Mais qui donc, en ces mystérieuse régions de l’esthétique musicale, qui donc fait jamais plus qu’entrevoir ? Mazzini le premier se rendait compte et de l’épaisseur des ombres et de la faiblesse de nos regards. Il a donné pour épigraphe à sa Philosophie de la musique la dédicace trouvée par l’apôtre dans Athènes : « Au Dieu inconnu. Ignoto Numini ! » Ces deux mots, s’ils définissent la musique, semblent nous dispenser, nous interdire même ou nous défier de savoir. Mais ils nous donnent une autre leçon. S’ils nous défendent la science, ils nous conseillent la foi. « La musique, a dit encore Mazzini, c’est la foi d’un monde dont la poésie n’est que la philosophie supérieure. » De toute sa philosophie à lui, de toute sa philosophie musicale, voilà peut-être la vérité la plus haute et la meilleure à retenir. Voilà la formule qui définit, par rapport à la musique, le mode ou le procédé de notre connaissance. Tout ce qu’on peut savoir de la musique n’est rien auprès de ce qu’on en peut sentir. Sa puissance est irrésistible et sa nature est presque ignorée. Que Mazzini ait annoncé Wagner ; qu’un révolutionnaire ait appelé, même en musique, la révolution, et qu’il l’ait prédite avec exactitude ; qu’un socialiste ait reconnu dans la musique la vertu sociale qu’elle contient en effet, et qu’il l’ait exaltée, ce ne sont là que des vues ou des visions, — et des prévisions, — partielles et secondaires. C’est un mouvement, ou un changement, deviné ; c’est une qualité découverte ou rappelée ; le fond, l’essence même demeure impénétrable. Lamennais demandait un jour : « Quelle relation de cause à effet l’esprit peut-il concevoir entre les ondes sonores, les vibrations de l’air, de L’eau, ou des molécules d’un corps solide, et les sensations, les pensées consécutives à ces vibrations ? » Voilà, formulée dans l’ordre de la musique, la question suprême, l’unique et totale question, celle de l’esprit et de la matière. Ne pas répondre à celle-là, c’est presque ne répondre à aucune. Mazzini ne l’a pas posée. Devant la dernière et la plus profonde énigme de la musique, il a gardé le silence. Comme l’enfant à genoux et chantant son humble cantique, il a dit : « O mon âme, adore et tais-toi ! » Je doute s’il faut l’admirer davantage parce qu’il a compris ou parce qu’il a cru, pour son intelligence ou pour sa foi.


CAMILLE BELLAIGUE.