pensée individuelle et la pensée sociale… Dans la musique, où l’influence des lois générales n’a jamais été étudiée ou soupçonnée seulement, l’action de pareilles tendances est plus manifeste que partout ailleurs. La mélodie et l’harmonie sont les deux pôles générateurs. La première représente l’individualité, la seconde, la pensée sociale. Et le parfait accord de ces deux élémens premiers et nécessaires, leur alliance sacrée dans une intention et pour une mission sainte, voilà le secret, voilà l’idéal de la musique européenne, celui que tous, consciens ou inconsciens, nous invoquons aujourd’hui. »
Dédoublement de la musique en ses deux facteurs : mélodie et harmonie, assimilation de l’une au principe individuel et de l’autre au principe social, voilà sans doute un système un peu trop étroit, un peu trop absolu. Mais, s’il n’enferme pas toute la vérité, il en contient au moins une partie considérable. Il en présente un aspect original, étendu, celui-là justement par lequel on comprend qu’un socialiste ait été charmé, peut-être ébloui. Harmonie et mélodie ! Je ne crois pas qu’un autre art se compose, comme la musique, de deux élémens aussi unis et aussi divers ; qu’un autre art consiste dans un rapport plus étroit, plus mystérieux et plus changeant. De la mélodie et de l’harmonie, tour à tour, on a prétendu faire l’essence et comme l’âme même de la musique. Par la suprématie de l’une ou de l’autre on a distingué les diverses périodes de l’histoire. La critique, la philosophie, la psychologie ou la métaphysique musicale ne cherchent qu’à les séparer lune de l’autre, afin de les interroger à part et de les mieux entendre. On ne s’accorde pas plus sur la nature ou la beauté que sur les droits, la mission ou la vertu respective de chacune. Les uns, Lamennais par exemple, fondent la distinction, ou plutôt, — car il sacrifie l’une à l’autre, — l’inégalité de la mélodie et de l’harmonie sur l’inégalité du monde intellectuel et du monde inorganique. Pour eux, « l’harmonie ou la science des accords exprime le monde inférieur et les rapports des êtres dans ce monde, » tandis que « la mélodie est l’expression des êtres intelligens et d’eux seuls[1]. » Pour d’autres, tels que Mazzini, la musique se partage non pas entre la matière et l’esprit, mais entre l’individu et la foule. Et, encore une fois, si, de tous ces points de vue, il n’y en a pas un d’où se découvre la vérité
- ↑ Lamennais, Esquisse d’une philosophie, t. III (Musique).