donne l’agrément d’une sensation passagère, un plaisir, une volupté qui s’évanouit avec le son. « Aujourd’hui, qu’il nous égaie ou nous attriste, ce n’est plus du fond de nous-mêmes qu’il tire le rire ou les larmes. Riso senza pace, pianto senza virtù. Le rire sans la paix, des larmes sans vertu ! Rire qui déforme le visage sans effacer de nos fronts une ride, sans calmer un gémissement de nos cœurs ! Larmes involontaires, inconscientes et comme arrachées par force, qui nous rappellent seulement que nous portons en nous un instinct de pitié, d’amour, et que la musique pourrait développer tout cela, si nous n’avions étouffé la musique elle-même. »
… « Qu’est devenu l’art souverain, profond, qui insiste, qui enfonce la pensée dans la chair et dans le cœur ? » L’art aujourd’hui ne creuse plus, il frôle. Il a remplacé par les effets multiples, épars, l’effet jadis concentré et unique. « Qui donc, dans le drame musical, a souci d’une idée ? Qui donc va chercher, dans le cercle des scènes diverses qui composent un opéra, le centre ou le nœud qui les rassemble ? Ce n’est pas le public, ennuyé, frivole, ennemi des impressions profondes, qui ne demande à la musique qu’un passe-temps d’une heure et s’informe des interprètes plutôt que de l’ouvrage. Ce n’est pas l’auteur, avili, dégradé, abruti par la honte des temps, par le public même, par l’amour du lucre, par l’ignorance de tout ce qui n’est pas les notes et les accords. » Alors qu’arrive-t-il ? « Un opéra n’est plus qu’une chose sans nom… Un opéra ne saurait plus se définir que par l’énumération des morceaux qui le composent : cavatines, duos, trios, finales, interrompus et non reliés par je ne sais quel récitatif que nul n’écoute… Où va-t-on ? Que nous veut cette musique ? Où nous mène-t-elle ? Pourquoi s’arrêter ici ? Pourquoi cette idée coupée par une autre ? Allons, allons. L’heure presse. Il est minuit passé. Mais le public en veut pour son argent. Il veut son compte de motifs. Donnez-le-lui. Il manque une cavatine, il manque le rondo de la prima donna. L’heure a sonné, on applaudit, on sort. Et le jeune homme, qui s’était promis de rentrer au logis avec une idée de plus, avec une émotion nouvelle, s’en va pensif et muet, la tête fatiguée et douloureuse, les oreilles bourdonnantes, et, sur les lèvres, le mot de Fontenelle : « Musique, que me veux-tu ? » Est-ce donc là que, de nos jours, la musique est tombée ! »
Pour la relever, il faut plus qu’une réforme : une révolution. Il ne s’agit pas de perfectionner l’exécution ou la méthode, de