J’imagine que Mazzini, s’il avait connu les neuf symphonies, eût peut-être trouvé moins à redire au présent, qu’il eût exigé moins de l’avenir. Mais il ne les a pas connues : d’où l’amertume de ses plaintes et l’impatience de ses vœux.
« Lorsque l’élément qui constitue un art, lorsque l’idée qui en fait la règle et la vie est parvenue au dernier degré de son développement, à la plus haute expression qu’il lui soit donné d’atteindre, alors cet élément ne saurait plus rien produire, cette idée est épuisée et morte. Le génie même est impuissant à la ressusciter, à rouvrir une époque fermée ou qui se ferme. C’est folie de s’obstiner à faire d’un principe usé la loi d’un art, à chercher la source de la vie dans un sol désormais stérile. C’est se condamner soi-même à errer parmi les morts, au lieu de regarder devant soi le mouvement, la puissance et la vie. » Telle parut à Mazzini l’obstination et la folie de ses contemporains. Il estima que le grand mal dont souffrait la musique, et dont elle pouvait mourir, consistait en ceci : l’idéal ancien n’existait plus, et le nouvel idéal ne paraissait pas encore.
La doctrine générale de Mazzini commande en quelque sorte son esthétique. Sa conception musicale est beaucoup moins d’un métaphysicien que d’un socialiste religieux. La devise du politique : Dio e il popolo, fut également la devise du musicien. Le plus grave reproche qu’il adresse à la musique, et qui contient tous les autres, c’est d’avoir trahi sa vocation religieuse et populaire ; c’est d’avoir oublié L’amour du peuple et l’amour divin, d’être descendue des hauts lieux où jadis elle siégeait, « accanto al legislatore e alla religione, » entre le prêtre et le législateur. Væ soli ! Pour s’être de plus en plus séparée de la vie générale, pour avoir enclos son domaine et cherché en elle-même, en elle seule, son objet ou sa fin, la musique subit maintenant la malédiction qui s’attache à la solitude. Le libre et saint ministère qu’elle exerçait autrefois n’est plus qu’un mécanisme profane, inutile surtout, car l’isolement de la musique n’a d’égal aujourd’hui que sa vanité. Elle ne sert à rien, ne servant qu’à soi-même. Stérile combinaison de notes, sacrifiant le fond à la forme et l’idée à la matière, elle ne aurait plus être un refuge pour la souffrance, ni pour le doute un réconfort. Le public, qu’il ne faut pas confondre avec le peuple, a dit à L’artiste : « Sauve-nous de l’ennui. » L’artiste s’est contenté de cette fonction misérable. Pauvre trouvère d’un jour ! À ceux qui ne lui demandent plus davantage il prête plutôt qu’il ne