C’est par ce caractère collectif que la musique agit sur le nombre. Elle est par excellence l’art populaire, celui que le peuple comprend et goûte le mieux, le seul que, par l’instinct ou le génie, et non pas seulement par le travail, il ait fait un peu sien. Le peuple n’est pas architecte, il n’est ni peintre, ni statuaire ; mais il est musicien. Un millier de maçons n’ont jamais suffi pour bâtir une cathédrale ; mais il ne faut parfois qu’un laboureur ou un pâtre pour trouver une chanson.
Si la foule, si les inconnus, si les petits et les humbles peuvent quelque chose pour la musique, elle n’est pas ingrate ; à son tour, elle fait beaucoup pour eux. Elle les élève et elle les unit. Elle sait plus d’un secret qui leur importe. Elle leur donne la grande leçon de l’ordre, de la hiérarchie, des rapports nécessaires et harmonieux. Mais, non contente de les instruire, elle les réjouit et les console. Elle allège leur travail et charme leur repos. Et sans doute c’est cette influence sociale, c’est ce pouvoir mystérieux et secourable, ce double privilège d’enseignement et de charité, qui constitue aux yeux des socialistes l’éminente dignité de la musique et son plus noble titre à leur faveur.
« Mazzini, a dit Louis Veuillot, Mazzini, homme intelligent, a entrevu quelque chose. » Oui, même en musique, et quelque chose de l’avenir. Ce voyant n’était pas un savant ; sa culture musicale était pauvre, et lui-même l’avoue. Il écrit, au début de sa Philosophie de la musique : « L’auteur de ces pages ne sait de musique que ce qu’en enseigne le cœur, ou à peine davantage. Mais il est né en Italie, dans la patrie de la musique, où la nature est un concert, où l’harmonie pénètre l’âme avec la première chanson que chantent les mères au berceau des enfans. C’est assez pour qu’il se croie en droit d’écrire, sans étude et comme sous une dictée intérieure, des choses vraies, jusqu’ici peu remarquées, mais indispensables au relèvement de la musique et du drame musical. » Rien qu’en ce peu de lignes, on voit déjà se dessiner les deux traits qui dominent et résument l’esthétique musicale de Mazzini : l’un est la sensibilité, l’autre est le désir ou le besoin d’une réforme. Le second est bien d’un révolutionnaire, et le premier d’un Italien.
Mazzini donna de bonne heure des marques de cette sensibilité qui n’est pas toujours incompatible avec l’esprit de révolte ou même d’anarchie. À cinq ans, il se jetait dans les bras d’un