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nous trouvons que ce travail incessant du cultivateur, qui commence aussitôt après la moisson, pour ne finir que pendant l’été suivant, que la charrue, les herses, les bêches et les houes qui déchirent le sol et le triturent, ne le font que pour y assurer l’approvisionnement d’eau et pour l’y défendre.

Cet effort continu est d’autant plus avantageux que l’eau est nécessaire non seulement à nos plantes de grande culture, mais aussi aux fermens qui fixent dans nos terres l’azote atmosphérique et à ceux qui transforment les matières organiques en nitrates assimilables.

Ces nitrates filtrent au travers de la terre sans être retenus, comme le sont les carbonates de potasse ou d’ammoniaque, de telle sorte qu’on est très bien renseigné sur l’activité des fermens nitrificateurs en étudiant les eaux qui ont traversé le sol, les eaux de drainage, et c’est précisément pour les recueillir que j’ai fait construire, au champ d’expériences de Grignon, les cases de végétation décrites plus haut. Quelques-unes ont été maintenues en jachère depuis le début des observations, et l’influence de l’humidité du sol sur l’énergie de la nitrification y apparaît avec une admirable netteté.

Pendant l’année écoulée, de mars 1894 à mars 1895, on n’a recueilli au pluviomètre que 420 millimètres d’eau ; les eaux de drainage, en calculant pour un hectare, ont entraîné 76 kilogrammes d’azote, contenu dans les nitrates. De mars 1896 à mars 1897 ; il est tombé 722 millimètres d’eau de pluie, et on a recueilli, au-dessous des cases en jachère, 203 kilogrammes d’azote nitrique par hectare, c’est-à-dire presque trois fois autant de nitrates que dans la saison précédente.

Quand on se rappelle qu’une très bonne récolte de blé ou de betteraves n’exige que de 100 à 120 kilogrammes d’azote par hectare, on serait tenté de croire que la nitrification qui s’établit naturellement dans la terre est suffisante pour subvenir aux besoins de nos cultures, et que l’acquisition du nitrate de soude grève inutilement nos budgets. On commettrait une grosse erreur : c’est seulement des terres en jachère qu’on obtient ces grandes quantités de nitrates ; les eaux de drainage qui s’écoulent au-dessous des terres cultivées sont beaucoup plus pauvres, et elles le sont non seulement parce que les plantes utilisent à leur profit les nitrates formés, mais parce qu’elles dessèchent le sol, en y puisant sans cesse pour subvenir à leur énorme transpiration.