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M. Lichtenberger y trouvait, entre autres détails, une lettre de Nice qui constatait le résultat de cette singulière exaltation : « Les maîtres, lui écrivait-on, sont en ce moment un peu dévoyés : dans ces dernières années, on les a peut-être un peu trop flattés ; ils se sont exagéré l’importance de leur rôle. »

Il se produisait, dans leurs cerveaux, je ne sais quel mélange entre les visions apocalyptiques, que provoque presque toujours une religion nouvelle et les espoirs à plus courte échéance, — et aussi de plus courte portée, — que semble autoriser, sous un régime de représailles, une certaine attitude politique. Eclaboussant son curé d’un flot d’encre et de lyrisme, M. Bonsens ne craignait pas d’écrire : « Nous aussi, nous avons des prophètes, et voilà que les temps sont proches ! » Il citait immédiatement, parmi ces hérauts de l’âge nouveau, parmi ces directeurs intellectuels de la démocratie contemporaine, l’un des penseurs dont l’esprit et le cœur furent le plus aliénés à l’idée même de démocratie, Ernest Renan. Et, transformant le corps des instituteurs en une légion de demi-prophètes, s’attribuant lui-même cette vocation quasi sacerdotale, M. Bonsens déclarait : « Tandis que le prêtre continuera librement d’obscurcir les intelligences par l’exposé de ses mystères et de ses dogmes insensés, tandis qu’il tentera longtemps encore de noyer la raison humaine dans son Credo quia absurdum, nous révélerons aux enfans du peuple les mystères et les merveilles que cette raison a su découvrir au sein de la nature infinie. Tandis que le prêtre enseignera qu’il faut se mépriser soi-même (Catéchisme du diocèse de Nevers, page 87), nous inspirerons aux jeunes gens un grand souci de leur dignité. » Que si nous paraissions attacher trop de prix à la voix franche et robuste de cet instituteur nivernais, il nous suffirait de faire observer que, sous des couleurs certainement moins criantes et sous un vêtement peut-être plus correct, on retrouve exactement les mêmes pensées dans un discours de 1886 où M. Goblet, ministre de l’Instruction publique, du haut de la tribune du Sénat, opposait la nouvelle morale à la doctrine chrétienne du travail et du péché originel. Voilà les positions bien définies, et le contraste mis en relief : entre l’Église et l’école, c’est l’enseignement moral qui sert de champ de bataille, et c’est comme maître de morale que l’instituteur, au nom de l’ « État laïque, » défie la « théocratie. »