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de Terre-Neuve ! Est-ce bien là le but qu’on a voulu atteindre ? Il serait, croyons-nous, malaisé de le prétendre.


III

Nous savons maintenant quels droits les traités ont reconnus à la France sur les côtes de Terre-Neuve. Comment la France a-t-elle exercé ces droits ? En a-t-elle abusé ? N’a-t-elle pas plutôt montré dans leur application une extrême bienveillance ?

Les droits attribués aux Français ne laissaient pas, il faut le reconnaître, de constituer pour les Anglais et les Terre-Neuviens des servitudes assez lourdes. Et ces servitudes sont devenues surtout gênantes dans la seconde partie de ce siècle, alors que la population terre-neuvienne s’était accrue dans une large proportion et qu’on avait découvert dans l’île des gisemens miniers importans. Le droit de pêche sur le French Shore, avec la faculté d’y établir des échafauds et des cabanes, et, comme conséquence, la défense imposée aux sujets britanniques d’avoir des établissemens sédentaires, rendaient difficiles aux Terre-Neuviens les débouchés vers la mer dont ils avaient besoin pour exploiter leurs richesses. Mais la France, loin de nier tous ces inconvéniens, en a maintes fois convenu et, mue par l’esprit le plus bienveillant, elle s’est efforcée toujours de concilier les droits qui résultaient pour elle des traités avec les nécessités nouvelles qui avaient apparu dans l’île. Ses efforts, il est vrai, n’ont point abouti. La faute n’en est pas à elle. C’est dans l’attitude de la Grande-Bretagne ou, plus exactement, dans celle des Terre-Neuviens qu’on doit chercher la cause d’un pareil échec. L’histoire des relations des deux États sur la question de Terre-Neuve au cours de ce siècle est à ce point de vue fort instructive.

Tant que Terre-Neuve n’eut point de Parlement, jusqu’en 1832, l’usage que la France fit de son droit exclusif de pêche ne souleva aucune réclamation de la part de l’Angleterre. C’est la législature terre-neuvienne qui, la première, tenta d’établir une doctrine nouvelle sur la nature de nos droits de pêche. Alors, par égards pour sa colonie, le gouvernement britannique consulta les jurisconsultes de la Couronne. On sait l’avis que ceux-ci donnèrent en 1835 et en 1837. Lord Palmerston, croyant faire assez pour les Terre-Neuviens, déclara, le 10 juillet 1838, dans une note au cabinet de Paris, que le privilège acquis aux pêcheurs