Admettons cependant, avec lord Salisbury, que les homards sont des crustacés, qui ne se pêchent pas, mais se capturent. En résulterait-il que les Anglais et les Terre-Neuviens auraient le droit de s’emparer de ces animaux à l’exclusion des Français ? En aucune façon. Les traités, nous le savons, ont garanti aux Français, sous des peines sévères, qu’ils ne seraient point troublés dans l’exercice de leur pêche par la concurrence des sujets britanniques. Or, ne serait-ce pas rendre cette stipulation sans effet, ne serait-ce pas apporter à la pêche des Français un trouble tel qu’elle deviendrait un fait impraticable, que de permettre aux sujets britanniques de pêcher le homard ? Le droit pour les Anglais de prendre le homard est, dans la réalité des choses, incompatible avec notre droit exclusif de pêcher la morue. Dès que ces deux genres d’industrie se rencontrent, l’une des deux doit fatalement disparaître. On l’a bien vu, en 1888, dans la baie d’Ingornachoix, où, le commandant Humann n’ayant pu obtenir du capitaine du croiseur anglais de forcer le sieur Shearer à retirer ses casiers à homards qui rendaient impraticable la manœuvre des seines de nos morutiers, il a fallu que, de guerre lasse, et après avoir perdu du temps et déchiré leurs filets, ceux-ci abandonnassent finalement la partie. On arrive ainsi à la conclusion suivante : les Français n’auraient pas le droit de capturer le homard, parce que, d’après le gouvernement britannique, le homard n’est pas un poisson qui se pêche ; mais les Anglais ne pourraient pas davantage s’en emparer, parce qu’en fait ils dérangeraient, jusqu’à la supprimer, la pêche de la morue, que les traités réservent aux Français. C’est, en définitive, à cette solution singulière qu’on aboutit logiquement dans le système de lord Salisbury. Le homard serait donc comme un animal privilégié, qui pourrait, en toute liberté, se livrer à ses ébats dans les eaux