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le sens même que lord Salisbury leur reconnaît. La conséquence qui semble si singulière au ministre britannique n’est pas, au fond, si extraordinaire, qu’elle doive entraîner la prohibition pour les Français de pocher le homard. Si les Français ne peuvent pas avoir sur la côte de Terre-Neuve des établissemens où ils conserveront les homards, le traité de 1713 et celui de 1763 ont donné à leur pays des îles toutes voisines, les îles de l’embouchure et du golfe du Saint-Laurent et les îles de Saint-Pierre et de Miquelon, précisément « pour servir d’abri et pour établir des bâtimens civils pour la commodité de la pêche ; » c’est là que les pêcheurs iront porter leurs homards pour qu’on les fasse bouillir et qu’on les mette en boîtes. À supposer même que cette facilité leur manquât, ils n’en devraient pas moins toujours exercer le droit de pêche : ils auraient la ressource de vendre les homards aux habitans de Terre-Neuve ou de les faire conserver par eux, car on peut soutenir que ces habitans ont le droit d’avoir sur le French Shore, pour la préparation des conserves, des hangars mobiles et provisoires ; la déclaration de 1783 dispose, en effet, que les seuls établissemens défendus aux sujets britanniques sont les « établissemens sédentaires ; » il est vrai que la loi de George III, interprétative de cette déclaration, est plus restrictive, puisqu’elle oblige le gouverneur et les officiers de Terre-Neuve « à enlever ou à faire enlever tous chauffauds, claies, matériel et autres installations quelconques servant à la pêche, construits par les sujets de Sa Majesté (Britannique). »

Le premier ministre britannique ne s’est pas encore contenté des considérations qui précèdent ; il en a fait valoir une autre d’un ordre technique. Le traité de 1713, a-t-il dit, a accordé aux Français le droit de pêche, mais il ne leur a point reconnu le droit de capture ; or, Les homards se capturent et ne se pêchent pas : ce sont des crustacés, et les crustacés ne sont pas des poissons. Ces distinctions de Lord Salisbury entre le droit de capture et le droit de pêche, entre Les crustacés et les poissons, nous paraissent bien subtiles pour avoir été dans l’esprit des négociateurs de 1713 ; il est plus vraisemblable qu’en parlant de pêche et de poissons, ces négociateurs, qui n’étaient point des naturalistes, n’ont pas donné à ces mots d’autre sens que celui que l’usage consacrait, et, dans le langage courant, — personne ne Le niera, — le poisson est tout animal qui vit dans l’eau, la pêche est l’acte de prendre tous les produits de la mer : ne dit-on pas, en effet, la