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au Parlement de Bretagne et rendus exécutoires par le Roi Très-Chrétien[1]. Qu’a stipulé l’article 13 ? En vertu de cet article, la France a cédé à l’Angleterre le territoire de Terre-Neuve, mais elle a conservé, sur une partie déterminée des côtes (depuis le cap de Bona-Vista jusqu’à la pointe Riche), et pour une certaine période de l’année, la faculté de pêcher dans les eaux territoriales de l’île, et celle d’établir sur les rivages « des échafauds et cabanes nécessaires et usités pour sécher le poisson. » Par cela même que le traité n’a pas dit dans quelles conditions, par rapport aux indigènes et aux Anglais, un droit de pêche était constitué, il a évidemment entendu qu’il demeurait tel qu’il s’exerçait avant 1713, c’est-à-dire sous le régime du droit exclusif. Le traité avait pris soin de fixer l’époque et l’étendue territoriale du droit ; s’il avait voulu modifier de même son caractère, faire d’un droit exclusif un droit simplement concurrent, il l’aurait certainement dit. On s’explique d’ailleurs pourquoi il ne l’a point dit. En ce temps-là, les Terre-Neuviens étaient pauvres et ne vivaient que par la pêche que faisaient les Français : leur seul profit était la nourriture et les appâts qu’ils leur vendaient. Fort peu nombreux, ils n’eussent pu, s’ils en avaient eu le goût, se livrer d’une façon rémunératrice au métier de pêcheur. Susciter une concurrence aux Français, ç’eût donc été, dans ces conditions, s’exposer à les écarter de l’île et ainsi à ruiner les indigènes. Quant aux Anglais, ils n’avaient pas l’habitude de ce genre de pêche, et rien n’était moins certain que leur intention, dans un temps plus ou moins rapproché, d’aller chercher fortune dans ces parages : on ne pouvait donc songer à eux.

L’article 13 fut maintenu par l’article 5 du traité de Paris du 10 février 1763. Ce traité interpréta même ses dispositions dans un sens favorable aux Français. Il s’exprimait, en effet, dans les termes suivans : « Les sujets de la France auront la liberté de la pêche et de la sécherie sur une partie des côtes de l’île de Terre-Neuve, telle qu’elle est spécifiée par l’article 13 du traité d’Utrecht, lequel article est renouvelé et confirmé par le présent traité. » Dire qu’une personne a « la liberté » de faire un acte, n’est-ce pas dire qu’elle ne sera point gênée dans l’exercice de cet acte, qu’aucune concurrence ne viendra restreindre ses droits ?

Mais, en fait, la liberté de la pêche reconnue aux Français ne

  1. Voir Harvut, Les Malouins à Terre-Neuve et les droits de la France sur cette terre, d’après des documens authentiques, Rennes, 1893.