— Elle apprendra ici, dit la jeune mère, il faut qu’elle ait de l’instruction comme lui.
— Ici ? vous pensez tout de bon vous établir ici ? demanda Mme d’Estève. Il y a, je ne vous le cache pas, de très grandes difficultés.
— Où donc irais-je ? dit Nita en levant ses magnifiques yeux noirs.
Et la mère subit, après son fils, la séduction de cette pathétique confiance, de cet abandon absolu, qui avaient dû prendre et retenir Guy. Il y a, il y aura toujours des femmes fortes, des femmes supérieures, des femmes de mérite, des femmes de talent, des femmes égales de l’homme, mais la femme par excellence est et sera toujours aussi cette créature de foi, d’amour et de faiblesse qui croit et qui se donne.
Avec toute sa grâce Nita ne devait pas avoir été très belle, même avant les ravages visibles du désespoir ; elle ne devait pas être très intelligente ; le monde ne lui avait rien appris ; c’était une fleur sauvage, sans éclat, mais qui suffisait à embaumer le désert où elle avait fleuri pour un seul.
— Où donc irais-je ? répéta-t-elle, ses grands yeux levés vers celle qui, après l’avoir accueillie avec tant d’effusion, semblait maintenant la repousser. Toute sa physionomie s’assombrit comme si un voile y fût tombé, elle passa la main sur son front et se leva d’un geste las.
Sa pensée, un peu lente pourtant, avait fait du chemin tandis que Mme d’Estève réfléchissait, aux prises avec ces perplexités, les pires de toutes peut-être, qu’entraîne le déplacement du devoir.
— Je comprends… J’y avais déjà pensé à bord… Il y en a d’autres ici que nous offenserions en restant, Marie et moi. Pardon… Ma première idée a été d’obéir… Et puis de vous voir au moins une fois…
Elle rajustait le petit châle sur sa tête et sur ses épaules, comme prête à se remettre en route, Dieu sait vers quoi, par la neige qui obscurcissait encore cette noire journée de décembre. D’une voix résignée elle ajouta :
— Où dois-je aller ? Je suis votre fille obéissante. Guy m’a recommandé de faire tout ce que vous décideriez. Sans cela, je l’aurais suivi sous la terre, sans consulter personne. Si vous pouviez me permettre d’aller le rejoindre avec notre enfant ! Pour mourir, j’aurais tant de courage !
Ah ! l’argent qui arrange tout, comme l’avait déclaré Hélène