flocons. Dans son mince visage il n’y avait de remarquables que deux yeux sombres longuement fendus sous une frange de cils si épaisse qu’elle leur donnait l’air d’être peints. On eût dit des papillons noirs battant la teinte ambrée des joues. Debout, au milieu de la chambre, cette exotique créature tenait par la main une petite fille de cinq ans environ, aux longues boucles brunes. Tout à coup, par un geste d’une grâce humble et timide, elle la souleva de terre, en voyant entrer Mme d’Estève, comme pour s’abriter derrière cette raison d’être venue. Et la mignonne tendit les bras ; elle riait. Avait-elle oublié déjà qu’elle était orpheline ? En réalité, elle ne l’était plus, car Mme d’Estève s’était élancée vers elle d’un mouvement irrésistible et la serrait contre son cœur :
— Guy ! mon pauvre Guy ! Ah ! c’est vraiment Guy dans ce temps-là, quand il m’est resté après la mort de son père, comme le seul bien que j’eusse au monde !
La petite lui rendait ses caresses, sans timidité aucune, en répétant ainsi qu’on lui avait appris à le faire :
— Bonne maman, bonne maman !
Et bonne maman, câlinée de la sorte, oubliait complètement qu’il y eût quelque autre personne dans la chambre que ce petit Guy qui lui était rendu à l’improviste, quand elle sentit auprès d’elle un frôlement léger. Abaissant son regard, elle vit une petite forme agenouillée à ses côtés, et une main très frêle qui portait un pli de sa robe jusqu’à la bouche la plus douloureuse, la plus suave, la plus tendre qui eût jamais appelé ou donné un baiser.
L’émotion fut trop forte pour qu’elle y résistât. Sans lâcher sa petite-fille toujours suspendue à son cou, elle releva la jeune mère et les réunit dans un même embrassement. Après cela, les paroles devenaient bien inutiles.
Il y eut de longs sanglots, les joues humides se frôlaient, les larmes roulaient confondues et, tout en pleurant, comme elle n’avait pas encore pleuré, chacune des deux femmes sentait qu’elle n’était plus seule, que quelque chose de l’absent bien-aimé lui était rendu.
Ce fut Nita qui la première parla d’un ton qui demandait grâce :
— Guy le voulait, dit-elle.
— Oui, il vous donne à moi, répondit spontanément Mme d’Estève. Et elle reprit avec avidité : — Parlez-moi de lui.