— Vous raisonnez toujours juste.
Avec intention elle appuya sur le mot raisonnez.
— Vous êtes d’avis, comme moi, que l’arrivée de ces… étrangères est un scandale qui peut nuire à la mémoire de votre fils et faire le plus grand tort à ceux qui, par faiblesse ou par imprudence, y tremperaient ?
— Le plus grand tort, répéta de bonne foi Mme d’Estève, à demi persuadée, tant le sang-froid, le ton tranchant de sa belle-fille la maîtrisaient.
— Et, comme moi aussi, reprit cette dernière, vous ne voyez d’autre remède au mal commis que de les faire disparaître avant que rien ne s’ébruite.
— Il faut qu’elles disparaissent sans doute.
De fait Mme d’Estève sentait bien qu’au point de vue de la famille et du monde Hélène était dans le vrai ; cependant le mot d’exécution lui était tombé sur le cœur comme le juste équivalent de supplice et elle se sentait le bras bien faible pour accomplir ce rôle de bourreau.
— Laissez-moi réfléchir, laissez-moi me reposer un peu, dit-elle. Je ferai de mon mieux.
— Merci, ma mère, dit Hélène en serrant une main moite et pâle qui ne répondit pas à cette pression. Je sais que, dans les grandes circonstances où la famille est en jeu, nous nous entendons toujours. Vous n’oublierez pas, quelque sentiment que vous puissiez avoir pour moi, que vous êtes l’aïeule de mes enfans. Si l’on admettait tous les liens de fantaisie qui sont la suite de certains divorces, la société se transformerait en une vaste bohème, dont le ciel nous préserve !
Elle se leva sur ce vœu prononcé avec ferveur.
— À nous de jeter un voile sur les dernières erreurs de ce malheureux. Pour moi, je vous l’avoue, la douleur profonde, incurable, c’est qu’il ne se soit pas amendé, même à l’approche de la mort.
— La seule douleur pour moi, c’est de l’avoir perdu, dit Mme d’Estève d’une voix devenue soudain si dure que sa bru comprit qu’elle venait de faire une maladresse en livrant le secret de ses larmes, larmes de colère, larmes d’orgueil, larmes égoïstes, toujours.