Prenez-le, ma bonne, ma généreuse, mon adorable maman. »
L’autre lettre, très brève, était d’une grande écriture commerciale et en anglais :
« Madame d’Estève,
« Conformément aux instructions qui m’ont été laissées par mon associé, Guy d’Estève, décédé ce 25 novembre, je conduis sa veuve et sa fille à la Nouvelle-Orléans, où elles doivent s’embarquer, le 10 décembre, sur le Crescent pour Liverpool. De Liverpool, elles se dirigeront sur France.
« Yours truly,
« John F. C. Hawkins. »
Lorsque la mère de Guy revint à elle, entre les bras de deux religieuses qui lui faisaient respirer des sels et baignaient ses tempes de vinaigre, elle crut sortir d’un cauchemar effroyable ; mais les lettres étaient là, gisantes encore près d’elle. Avec un faible gémissement, elle les repoussa, puis les ressaisit en balbutiant d’un ton d’indicible épouvante :
— Partie ? Elle est partie ?
Sœur Saint-Arsène lui expliqua doucement que Mme Hélène avait appelé du secours et s’était retirée ensuite par discrétion :
— Elle nous a bien chargées de vous le dire, madame, elle craignait, à tort sans doute, que sa vue ne vous fût importune, mais elle reviendra, elle reviendra demain.
— Non ! s’écria Mme d’Estève avec une soudaine énergie, non, je ne peux pas, je ne veux pas, c’est impossible !
Et on crut autour d’elle qu’elle refusait d’accepter la douleur à laquelle nul n’échappe.
— Hélas ! chère dame, dit sœur Sainte-Céline, il faut bien vous conformer à la volonté de Dieu. Nous lui demanderons de vous donner du courage.
— Demandez-lui de m’empêcher de penser, de m’empêcher de sentir… Ah ! survivre à mon fils !
Il était si loin depuis tant d’années ! Combien de fois n’avait-elle pas donné le nom de mort à cette séparation ! Mais, aujourd’hui, elle sentait que la seule absence réelle est celle qui ne finit