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— C’est donc qu’il ne sait pas s’y prendre, d’après ce qu’on dit des ressources du pays.

Et ces mots, prononcés d’un ton capable, arrêtèrent des épanchemens inutiles.


II

Les deux frères étaient retournés à leurs amusemens du dimanche, et Mme Hélène restait encore, persistant d’une façon insolite dans le témoignage de déférence dont sa belle-mère l’eût si bien dispensée. Elle tenait de bonne foi à ce qu’elle appelait leurs amicales relations et avait accompli, il y avait de cela dix ans, un tour de force et d’adresse pour les défendre, en rejetant sur son père tels actes qu’on aurait pu lui imputer à elle-même. C’était lui, c’était M. Sturm qui avait fait passer avant tout les intérêts matériels ; il apportait parfois dans la discussion, elle en convenait, beaucoup de raideur et même de violence, il manquait d’usage et avait dû blesser au vif son gendre, très fier, très ombrageux ; mais celui-ci l’avait traité de son côté avec une suprême insolence, méconnaissant ses intentions, si bonnes qu’elles fussent au fond. De là des scènes qui, à en croire Hélène, avaient tout envenimé, des malentendus déplorables, auxquels bien à contre-cœur elle s’était trouvée mêlée ; le divorce en était résulté d’un commun accord, quelque horreur qu’elle en eût. De pareils argumens ne pouvaient certes pas convaincre la mère de Guy ; elle voyait, de beaucoup plus haut, l’intime profondeur des choses, ce vrai qui n’est tel que pour les esprits capables de le percevoir à travers tous les semblans qui composent la vérité apparente et vulgaire, celle dont se paye si facilement le monde ; elle connaissait les raisons d’une de ces incompatibilités de sentimens et de caractères qui désunissent deux époux bien plus sûrement que ce qu’on appelle des torts, puisque le pardon ne peut rien contre elles. Il lui avait plu néanmoins de rester avec la divorcée dans des termes qui lui laissaient jusqu’à un certain point ses petits-fils. C’était garder en quelque sorte auprès d’eux la place de l’absent. Et elle trompait une inextinguible soif de tendresse en s’efforçant de substituer les enfans à leur père, d’aimer celui-ci en eux. Malheureusement ils lui avaient rendu l’illusion difficile. Max et Fred subissaient les influences d’un milieu où l’esprit critique, pour ne pas dire le dénigrement, régnait