froid regard bleu, encore refroidi par la pâleur des cils ; l’autre, négligée dans une toilette d’intérieur défraîchie, ses cheveux gris, encore abondans, noués tant bien que mal, son teint délicat ridé de mille plis très fins, à la façon des vieilles mousselines dont il avait la blancheur un peu jaunie. Jadis, Mme d’Estève possédait cette beauté sans lignes qui se modèle sur toutes les impressions, qu’illumine l’esprit et la joie, qui varie au gré des mouvemens de l’âme toujours visible à fleur de peau. Maintenant les muscles fatigués fléchissaient, les chairs exsangues n’avaient pour ainsi dire plus de contours ; la couleur des yeux, une couleur indéfinissable, parce qu’elle était changeante comme celle de l’eau, claire sous le soleil, noire sous l’ombre d’un nuage, s’était éteinte une bonne fois entre les paupières meurtries, mais le sourire pouvait encore être merveilleusement jeune ; seul il rappelait le portrait signé Winterhalter, qui, au mur de cette cellule, faisait presque scandale par le charme qui s’en dégageait.
Le mot de charme est banni, on le sait, du vocabulaire ascétique, comme synonyme de philtre et de sortilège ; or, Mme Hélène était là-dessus de l’avis des ascètes ; elle regardait ce portrait, où le souple corsage d’une robe de bal tenait à peine sur de jolies épaules trop tombantes, et que l’ampleur de la crinoline, les doubles bandeaux bouffans rattachaient à un autre âge ; elle le regardait avec une désapprobation profonde, comme si elle y eût vu poindre les défauts, les bizarreries, les extravagances de Guy. Lui aussi, avait le désir et le don de plaire, lui aussi, il avait le charme. Mme d’Estève, tout irréprochable qu’elle fût, sa passion maternelle l’ayant sans doute préservée en l’absence de principes bien solides, avait transmis à son fils un héritage dangereux, beaucoup d’imagination, des rêves insensés et très peu de jugement. Ainsi pensait Mme Hélène ; elle en voulait à cette séductrice au rayonnant sourire qui, malgré des atours démodés, ridicules, semblait encore dire du haut de son cadre :
— Voilà ce que c’est que d’être tout de bon et complètement femme. Voilà comment sont faites celles que l’on aime toujours.
Elle était plus indulgente, en revanche, pour la quasi-recluse flétrie, brisée, qui avait été l’original de ce portrait, et qui achevait dans un couvent sa vie bouleversée par tant d’émotions. Devant elle, il lui arrivait de se dire avec un contentement secret :
« Après tout, voilà ce qu’elles deviennent. Et quelle influence