dans une chambre à coucher plus exiguë encore, dont la séparait une portière. Ecartant celle-ci, la visiteuse prononça très haut, comme pour s’annoncer :
— Bonjour, ma mère !
Ce mot de mère fit tressaillir une femme de cinquante à soixante ans, qui, assise auprès d’un petit feu et frileusement enveloppée de vieilles dentelles noires, paraissait perdue dans de profondes réflexions.
Toujours elle tressaillait de même quand cette voix brève et cassante lui jetait le nom qu’elle avait entendu jadis une voix aimée lui répéter sur tous les tons de la tendresse et de la câlinerie. Il lui semblait insupportable que tout autre que son fils l’appelât mère, et, depuis sept ans que Guy était loin, — si loin ! — ce supplice lui était infligé, sans qu’elle osât y mettre un terme, en même temps que la visite hebdomadaire, dont la régularité exemplaire édifiait les bonnes sœurs. Mme d’Estève douairière n’était pas de ces femmes résolues qui savent se dérober à ce qui leur déplaît ; elle avait été la victime résignée de beaucoup d’événemens dont le souvenir revenait nuit et jour la hanter, l’empêchant de s’intéresser à rien de ce qui est la vie actuelle et de tous les jours, la rendant insensible, par exemple, à l’isolement, à la gêne, à tout ce qui constituait, selon l’expression commune, « son malheur. » Le seul malheur qu’elle fût capable de sentir et qu’elle appelât sien était celui de son fils. Elle en voulait au monde d’admettre généralement que ce malheur eût été mérité. Ne savait-elle pas mieux que personne à quoi s’en tenir sur Guy ?
Il ne demandait pour être bon qu’à être aimé ; c’est ce que nul des siens n’avait su faire, hormis sa vieille mère, et encore ! Elle ne l’avait pas aimé assez, n’ayant pas, pensait-elle aujourd’hui, tout compris comme il l’eût fallu, tout excusé, tout supporté jusqu’à la fin. Elle avait cru que le devoir, un devoir absurde, lui commandait de le morigéner, de le blâmer, d’être sévère ; elle s’était dit que cette rigueur serait « pour son bien. » Et à présent il n’était plus là ! Elle s’était brisé le cœur, tout en l’affligeant par des reproches. À quoi bon ? Pauvre cher Guy ! Comme elle se rappelait le jour des adieux, lorsque, au lendemain de ce triste divorce, il était venu lui dire : — C’est vraiment bon de laisser derrière soi le passé ! J’en étais las jusqu’à l’écœurement. Je me sens délivré d’un fardeau. Elle est riche, les enfans le seront aussi, c’est tout ce qu’il lui faut pour être parfaitement satisfaite, et elle élèvera