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UN ENLÈVEMENT


I

Tous les dimanches, à heure fixe, ce même coupé remontait une des avenues aboutissant aux Champs-Élysées. Il s’arrêtait en face du couvent, — pensionnat et dévote hôtellerie tout ensemble, — qui, sur un long espace, étire la ligne à la fois élégante et sévère de sa façade blanche que surmonte une croix.

Une même personne descendait de voiture, grande, mince, taillée dans sa maigreur pour les modes engonçantes et ajustées du jour. Ce dimanche-là, un glacial dimanche d’hiver, on n’apercevait presque rien du visage entre les bandeaux blonds, du blond le plus pâle, abaissés sur les sourcils, et le très haut collet d’une veste d’astrakan où disparaissaient le menton et la bouche ; mais il se dégageait cependant de cette silhouette à peine entrevue la révélation d’un caractère dont le trait dominant ne devait être ni la souplesse ni la douceur. La fourrure noire frisée tranchait durement sur la froide blancheur du teint protégé par une voilette ; le costume de drap cuirassait un buste aux contours secs ; la démarche ne connaissait ni hésitation ni repentir ; la tête, très petite, se dressait altière, sur le cou presque trop long, qui n’avait rien des courbes pliantes d’un cou de cygne ; la ligne du dos était inflexible. Un observateur eut remarqué tout cela dans le peu de temps qu’elle mit à traverser la contre-allée, pour atteindre la porte percée d’un guichet ; il eût remarqué la décision brusque du geste qui souleva et laissa retomber le marteau de bronze. Cependant deux dames qui passaient s’arrêtèrent, apparemment émerveillées. L’une d’elles, un peu forte et trapue, dit à l’autre,