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L’édifice n’a aucune prétention architecturale ; les tremblemens de terre ne permettant pas la hardiesse, on vise à la solidité. J’étais accompagné, dans ma visite, du plus aimable homme de Manille, un avocat, M. Lacalle. Nous fûmes reçus, au haut d’un escalier de pierre, dont les générations avaient usé les marches, par le R. P. Pedro N. de Medio et d’autres Dominicains. Ils nous introduisirent d’abord dans leur bibliothèque, salle profonde, où le soleil tamisé par les persiennes n’empêchait point les vieux bouquins d’exhaler leur fraîcheur. Autant les Franciscains d’avant-hier m’avaient froissé, autant ceux-ci me charmaient par leur simplicité cordiale et leur ample élégance. Le R. P. de Medio, surtout, avait, sous des apparences un peu dures, une grâce qui vous avait enveloppé avant même qu’on l’eût sentie. Ils étaient tous grands et forts, et, sauf l’un d’eux qui s’épanouissait plantureusement, leurs figures anguleuses et le feu noir de leurs yeux sur leur teint jauni accusaient l’âpre vouloir des hommes qui n’ont renoncé au monde que pour le mieux dominer. Comme je parcourais du regard les in-folio de leur bibliothèque, le R. P. de Medio me dit : « Nous en avons une autre, mais seulement pour nous et nos intimes. » Et il m’ouvrit la porte d’une petite chambre qui attenait à la grande salle. Les œuvres de Voltaire, de Jean-Jacques, de Diderot s’y alignaient, et j’y vis aussi des livres de Jouffroy et de Jules Simon.

— En vérité, mes Pères, leur dis-je, la littérature française est bien représentée dans votre chambre infernale.

— Ce n’est pas tout, firent en riant les Dominicains.

En effet, sur un rayon plus bas, Zola s’étalait, et deux exemplaires brochés de l’Argent ressortaient en jaune d’entre les reliures foncées. Le R. P. de Medio reprit :

— J’ai fait dans mon discours de rentrée une réfutation de son roman de Lourdes, et vous l’emporterez en souvenir de l’amitié que j’ai déjà conçue pour vous.

Nous étions sortis de la bibliothèque et nous nous dirigions vers le musée, le long d’une galerie qui dominait la cour intérieure. De jeunes étudians la traversaient d’un pas muet, la plupart métis : sans leurs serviettes d’écoliers, je les aurais pris pour des desservans. Le musée, trop étroit, s’engorgeait de merveilles. Les collections d’ethnologie, de minéralogie, d’histoire naturelle composaient un poème vivant et coloré de la conquête des Philippines. Trophées pris sur l’homme, la montagne, la forêt et