quitté leur tristesse et riaient d’un jeune rire, impatient Je miracles. Le capitaine, renversé sur sa chaise, les mains dans ses poches, considérait avec admiration ce diable d’Alberto ; un vieil adjudant, personnage muet, écarquillait les yeux, et, debout dans l’ombre, les soldats ne perdaient rien de la scène. L’expérience du verre plein réussit au delà de tout éloge ; il en fut de même du peso qui, à peine subodoré, se volatilisa. Mais, avant d’avaler la bougie, don Alberto attrapa sa valise, l’ouvrit, et je vis bien que c’était là sa principale jonglerie. Il en fit sortir des montres d’or qui sonnaient les heures et des montres d’argent sur le boîtier desquelles l’Amour sonnait de la trompette. Chaque fois que sa main y plongeait, elle en ramenait des bagues, des chaînes, des bourses en mailles dorées, des porte-cigares. Les officiers avaient oublié les tours de physique : ils essayaient les bagues, approchaient les montres de leurs oreilles, les introduisaient dans leurs goussets, tournaient et retournaient les chaînes dont ils ne pouvaient désenlacer leurs doigts. Mais, du dehors, une voix s’éleva dans le silence de la nuit : « Camarades, la partie commence ! » Incontinent ils rajustèrent leurs ceinturons et déguerpirent. Don Alberto, un peu désappointé, serra ses bijoux sur lui. « Où allez-vous ? » dis-je. « À la table de jeu ! » s’écria-t-il. Je restai seul. Dans la chambre voisine, une vieille Indienne repassait des chemises, pendant que son mari, accroupi sur les talons et les mains croisées sur les chevilles, ruminait une vague songerie. Entre eux, un petit soldat de Cadix toussait à cœur fendre.
Vendredi.
Notre maison est entourée de bananiers ; l’un d’eux, le plus haut, entre par la fenêtre, et j’ai dormi toute la nuit sous une grande feuille verte qui m’éventait doucement. Depuis que je suis aux Philippines, je n’avais point goûté d’aussi frais sommeil, et, ce matin, quand j’ouvris les yeux et que je vis au-dessus de ma tête ce riant panache où glissait une lueur d’or, il me parut que la nature s’était mise en frais d’hospitalité et qu’un rajah ne repose pas avec plus de délires sous le panka de ses grands hindous. Je suis sorti aux sons de la diane. Le village ou la ville indienne, dont toutes Les maisons sont faites de bambous tressés, longe la route et s’étend sur des chemins de traverse. Au milieu d’un terrain vague, une énorme église absorbe la vie ambiante et l’enferme sous sa grossière carapace. Derrière, c’est le marché où l’on vend